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«La consultation d'un dictionnaire reste une promenade délicieuse»

Samedi 08 février 2020 à 07h

Cette semaine, un couple de lecteurs nous fait parvenir la photo d’un livre qu’aucun de leurs enfants ne souhaite prendre à leur tour dans leur bibliothèque. Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



Marie-Nicolas Bouillet ! Le nom n’évoque peut être plus grand-chose aux nouvelles générations. Si vos enfants ou petits-enfants dégainent désormais téléphones et autres tablettes dès que le sens d’un mot leur échappe, voici un homme qui est l’un des ancêtres de wikipédia.

Professeur, traducteur, lexicographe, Bouillet (1798-1864) est l’auteur d’un livre immense, un bestseller. En France, la fibre encyclopédique n’est pas nouvelle. Diderot et d’Alembert éditent dès 1751 le grand œuvre du siècle des lumières. Un siècle plus tard, en 1842, Bouillet s’attèle à la rédaction d’un ouvrage plus compact. Aujourd’hui, on a tendance à minimiser l’importance d’un tel livre pour des générations successives. Internet multiplie les sources et permet à celui qui se donne la peine de chercher différents sons de cloche. Pour l’homme du XIXème siècle désireux d’obtenir un renseignement relatif à l’histoire ou à la géographie, disposer d’un tel livre dans sa bibliothèque apparait comme fondamental. Si la connaissance qu’il offre est singulière, ce « Dictionnaire universel d’histoire et de géographie » influence notre compréhensio du monde.
L’exemplaire présenté par nos lecteurs porte la date de janvier 1855. Cette version est postérieure au grand remaniement du livre. En effet, en 1852 Bouillet est contraint de transformer son œuvre. Les autorités religieuses considèrent notamment les articles relatifs à Montesquieu ou Rousseau comme susceptibles d’être mal interprétés. La biographie de l’auteur des lettres persanes n’est plus « Il respecta la religion » mais « il n’épargne pas les choses saintes ». Ces modifications effectuées, le dictionnaire de Bouillet obtient un succès général, obtenant la sympathie des indépendants comme des plus hautes instances religieuses. Symbole de la censure toujours très active en ce milieu du XIXème siècle, l’ouvrage jouit d’un prestige certain : encyclopédie d’un esprit libre… mais pas trop !

Notre exemplaire semble être un in-quarto, c’est-à-dire que chaque feuille a été pliée quatre fois, s’approchant pour chaque page du format A4. Il est relié à la hollandaise, c’est-à-dire simplement d’une grande feuille de parchemin sur l’intégralité des plats et du dos. Le dos sans nerf, est coiffé d’un bandeau sombre où le titre de l’ouvrage et son auteur sont inscrits en lettres d’or. Malheureusement le volume est en très mauvais état. Les pages sont cornées et jaunies, la gouttière – l’envers du dos – semble avoir connu une atmosphère humide. Dans cet état, ce dictionnaire n’a plus le moindre intérêt bibliographique.

Après quinze ans passés comme juré puis président de l’académie Goncourt, Bernard Pivot a rendu son rond de serviette. Notre titre en hommage à cet homme de lettres rappelle aux nouvelles générations l’importance du dictionnaire dans le cheminement des esprits brillants. Compiler l’intégralité des connaissances dans un ouvrage accessible à tous, nécessite un style clair, précis et une intelligence méthodique. Peu d’auteurs ont réunis ces qualités avec autant de talents que Bouillet.

Victime de son immense succès ce dictionnaire est parmi les plus courants dans les bibliothèques des âmes curieuses. Dans cet état on pourrait l’estimer entre 10 et 30 euros, à conserver donc… ou à dégainer encore plus rapidement qu’une recherche sur internet !
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