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«Ébéniste : ouvrier qui travaille surtout l'acajou»…

Samedi 21 décembre 2019 à 07h

Cette semaine, Liliane nous fait parvenir la photo de la commode de sa grand-mère dont elle aimerait connaître l’époque de production. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.

Meuble de rangement bas à larges tiroirs, la commode est un meuble qui semble avoir toujours existé. Pourtant l’histoire de l’art est parvenue à en définir l’époque de création. Malles, armoires, coffres, nombreux étaient les rangements possibles des vêtements. C’est André Charles Boulle, ébéniste de Louis XIV qui a le premier l’idée de transformer le bureau à caissons en ce nouveau meuble si : « commode »… Il en prendra le nom, nous sommes vers 1690.
Très vite les créateurs font de cette innovation l’un des plus importants supports des révolutions stylistiques. Une commode peut par exemple compter deux tiroirs - elle sera sauteuse - s’échancrer vers le bas - on la dira tombeau - ou encore droite et sans plateau de marbre, on l’appellera souvent Mazarine. En bois massif ou en placage, elle accueille laques du japon, peintures italiennes, précieuses incrustations de plaques de porcelaine…

La commode de Liliane est en acajou massif. Bois exotique variant du rose au rouge pâle, il a la particularité d’être presque imputrescible. Son grain, sa finesse, sa qualité en font rapidement l’un des bois les plus appréciés des créateurs, en témoignent quelques illustres commodes réalisées dans ce bois par l’ébéniste Riesener sous le règne de Louis XVI.
Cette commode ouvre par trois tiroirs, séparés chacun par un morceau de bois fixe qui porte le nom de traverse. Son plateau est fait de la même essence de bois, rectiligne, formant aux coins des demi-cercles qui prolongent des colonnes. Ses colonnes flanquent notre structure et se terminent par des pieds façon toupie ou vase balustre inversé. Elles demeurent d’une grande sobriété avec quelques fines cannelures. Sur chaque face le décor n’est produit que par les irrégularités naturelles du bois. Les taches noires que l’on distingue se nomment des nœuds. Ils sont les vestiges d’une branche qui aurait poussé perpendiculairement au tronc. Leurs « racines » forment alors dans la grume de bois ces petites imperfections. Selon l’axe de découpe du bois choisi, l’aspect de la matière varie. C’est ce que l’on appelle chez les ébénistes : le frisage. Enfin, les entrées de serrures sont circulaires, non pas en bronze doré mais plus probablement en laiton.

La neutralité excessive du meuble de Liliane rend difficile son identification précise. D’abord, les commodes de qualité sans plateau de marbre sont plutôt rares. On en connaît principalement deux sortes : les commodes Mazarine du règne de Louis XIV et les commodes tombeaux bordelaises. Bien sûr, d’autres meubles sont dépourvus de plateau de marbre mais il s’agit souvent de modestes productions régionales.
Ensuite, les cannelures nous évoquent immanquablement le règne de Louis XVI dont ils sont l’une des caractéristiques stylistiques. Toutefois, ce seul élément ne permet de rattacher ce meuble à son règne. Il faudrait étudier le montage de la commode de Liliane. En ouvrant les tiroirs, il est possible d’observer leurs flancs. Au XVIIIe siècle les queues d’arondes, les deux languettes de bois assemblées, sont plus larges car elles sont réalisées sans outils mécaniques. Dans la structure même du meuble il est rassurant de retrouver des tenons et des mortaises. Ces cylindres de bois enfoncés à coup de maillet pour relier les éléments ensemble, sont typiques d’un montage ancien. Pour finir, passez votre main sous le meuble : si la texture n’est pas parfaitement lisse c’est bon signe ! En effet, la scie mécanique permet de débiter des planches d’une presque parfaite régularité. Les aspérités inévitables d’un sciage à la main sont encore un élément qui permet de dater un meuble. Tel un détective, l’expert se doit d’apprécier des indices pour retrouver l’auteur du crime… ou plutôt l’auteur de l’œuvre !

Travail régional du XIXe siècle, la commode de Liliane pourrait être estimée autour de 200 euros.
Sobre, trop sobre, cette commode illustre un lieu commun. Le grand Gustave Flaubert s’en était fait le chantre ironique, comme le rappelle notre citation introductive tirée de son Dictionnaire des idées reçues.
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