FR
EN

Les rêveries du promeneur solitaire, ô temps qui passe

Samedi 07 décembre 2019 à 07h

Cette semaine, Véronique nous fait parvenir la photo d’une pendule. Me Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, nous donne son avis.



Nonchalamment posé sur un tronc d’arbre, un gentilhomme vient d’ôter son chapeau. Sa main gauche retient son couvre-chef, sa main droite se serre comme pour tenir un élément qui semble avoir disparu. Il est jeune, beau, songeur, la tête quelque peu échevelé, c’est un romantique. Son manteau retenu par deux boutons laisse apparaître ses bottes, le gentilhomme flânait, il arpentait quelques chemins escarpés, nous le prenons sur le vif. Vient-il de croiser sa belle pour laquelle il retire son chapeau ? Salue-t-il la seule beauté de la nature ? La scène est à la fois emplie d’une parfaite lisibilité et d’un grand mystère.

Cette sculpture en bronze est le sujet de notre pendule. Sa patine de couleur brune se détache du cadran circulaire blanc cerclé de doré qu’elle entoure. Le tout est posé sur une double base parallélépipédique en marbre noir. Cette base est ornée d’une frise de feuilles d’eau et d’une sorte de piétement fait de feuilles stylisées très mouvementé. De part et d’autre du sujet en bronze à patine brune, deux ornements végétaux en bronze cette fois doré font écho au reste de l’ornementation. Le mélange de style : plutôt Louis XVI et rigide pour la frise de feuilles d’eau, plutôt Louis XV pour le piétement mouvementé et rocaille, nous indique que nous sommes au XIXe siècle. Dès le XVIIIe siècle les horlogers offraient différents modèles de pendules à sujet. Des marchands de coton, aux pendules animalières les plus raffinées, jusqu’à la fin du XIXe siècle on compte des centaines de pendules de ce type. Comme c’est toujours le cas, plus elles sont précieuses et anciennes, plus elles ont de valeur !

Il faut alors s’intéresser au cadran de notre pendule. Il est circulaire, entouré de métal doré, donne les heures en chiffres romains et n’est pas signé. Les heures se déploient autour d’un double cercle concentrique reliés par des petits rayons, on appelle cela un chemin de fer. Détail intéressent et que certains faussaires ignorent, le chiffre « 4 » sur une pendule est toujours donné « IIII » et non pas « IV ». Il s’agissait de ne pas créer de confusion et de donner une meilleure lisibilité.
Le mouvement est actionné par une clef, en comprimant le ressort on donne au mécanisme la force nécessaire à son fonctionnement. Si on distingue deux inclusions pour les clefs c’est que le mécanisme à une complication indépendante : sa sonnerie. Sur la pendule de Véronique, les remontoirs sont plutôt proches l’un de l’autre. Au XIXe siècle, la miniaturisation des ressorts permet de les rapprocher, en effet les pendules les plus anciennes présentent toujours deux remontoirs très espacés pour des raisons techniques.

Que ce soit son sujet romantique, son mélange de style, ou son mécanisme, tout nous indique que cette pendule à sujet date du milieu voire de la seconde moitié du XIXe siècle. Il est difficile d’identifier formellement le personnage masculin présenté mais il nous évoque immanquablement les grandes figures du romantisme. Le promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau dans son livre éponyme, Le voyageur contemplant une mer de nuages du peintre Caspar Friedrich, participent à l’imaginaire collectif d’un poète solitaire et ému des beautés naturelles qu’offre le monde. La manière dont notre sujet ôte son chapeau n’est pas sans laisser présager un romantisme plus galant, l’un n’allant pas sans l’autre… Ce modèle de qualité moyenne mais honnête pourrait être estimé autour de 300 à 500 euros s’il est bien en bronze et qu’il fonctionne. Un petit prix pour beaucoup de rêve, avec l’espoir comme le disait Jean-Jacques Rousseau que « Si j’étais resté libre, obscur, isolé, comme j’étais fait pour l’être, je n’aurais fait que du bien : car je n’ai dans le cœur le germe d’aucune passion nuisible ».
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :