FR
EN

Biscuit italien, pour jeune femme craquante

Samedi 23 novembre 2019 à 07h

Cette semaine, Cindy nous fait parvenir la photo d’un buste féminin. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



Ici, la grâce italienne se fait fondante, mais qu’elle peut être la matière de cette sculpture ? Il s’agit d’un biscuit ! On appelle biscuit une porcelaine cuite sans glaçure à 1200°.
Originaire de la Chine, produite dès le Xe siècle, la porcelaine est une pâte constituée d’une terre très blanche, le kaolin, recouverte d’une glaçure, un enduit qui lui donne un aspect vitrifié. En Europe il faut attendre 1709 pour qu’en Saxe on découvre son secret de fabrication. En 1769 à Saint-Yrieix, près de Limoges, le premier gisement de kaolin est découvert en France. C’est le début de la fabrication de la porcelaine française, à Limoges, Vincennes puis Sèvres. Les petits sujets en porcelaine polychrome ont été pour la plupart réalisés à Meissen en Allemagne. Au XVIIIe siècle, la manufacture de Vincennes a l’idée de produire des sujets d’une éclatante blancheur pour se démarquer des productions d’outre-Rhin. L’éclat, la douceur presque « beurrée » de ces céramiques rappellent les friandises dont elles prennent le nom, pourtant ce n’est pas l’origine de l’appellation. On parle de biscuit car la terre est cuite deux fois : bis / cuit. Si la sculpture est cuite une seule fois et sans couverte opacifiante, c’est la pâte elle-même qui subit une première cuisson. En effet on mélange la terre blanche avec une fritte, c’est-à-dire un mélange de sable et de poudre de verre pilé, dont la composition peut varier au fil des siècles et des régions.

Le buste féminin présenté par Cindy est l’œuvre de Luca Madrassi (1848-1919), un artiste italien actif à Paris entre 1870 et 1920. Il travaille d’abord comme praticien pour Carrier-Belleuse avant d’être celui de Gustave Doré. Notre sculpture dite en ronde bosse, c’est-à-dire tridimensionnelle, nous frappe d’abord par sa grâce et l’inclinaison élégante de son visage. Toutefois, la chevelure est assez plate et son revers n’a pas la même qualité. Le buste doit être admiré dans un axe précis en contre-plongée de droite à gauche, probablement posé en hauteur sur une sellette d’un mètre vingt. On distingue en creux sur le flanc droit la signature de l’artiste ornée d’un ruban. Les yeux creusés de cette sculpture permettent d’accrocher la lumière. Dans la sculpture grecque l’œil était peint ou incrusté en verre pour produire l’illusion. Le biscuit s’il ressemble à du marbre est plus proche techniquement de la terre. Le volume des yeux est ici créé comme l’avait imaginé le sculpteur Houdon au XVIIIe par l’éclat de la lumière dans le creux du blanc de l’œil.

Luca Madrassi prolonge une tradition tout à fait française. La série des grands hommes de 1775, figurant les plus illustres écrivains, officiers ou philosophes, a été commandée aux sculpteurs de l’Académie dans du marbre. Cette série peut être admirée au Louvre, aussi, il n’est pas rare de retrouver chez des particuliers des répliques réduites en biscuit de ces sculptures d’Houdon, Caffieri ou Julien. Le biscuit est au XVIIIe l’équivalent du bronze d’édition au XIXe, une façon de faire connaître un modèle, de permettre à de petits collectionneurs de s’approprier une œuvre, et pour les artistes et les éditeurs : de gagner de l’argent par la vente à coût réduit d’un grand nombre d’exemplaires.

Le buste de Cindy, s’il fait une trentaine de centimètres, avec ses petits éclats, une tache hypothétique crème qui semble indiquer une restauration ancienne sous le cou, pourrait être estimé autour de 300 euros. Nymphe, allégorie, cette femme ne peut être en l’état identifiée. Beauté à la confluence stylistique de l’académisme et de l’Art Nouveau à venir : « Le pain dans sa patrie vaut encore mieux que des biscuits en pays étranger », malgré une estimation raisonnable on se plaira pour une fois à contredire Voltaire !
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :