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Hommage à Jacques Chirac : l’Afrique aimée

Samedi 28 septembre 2019 à 07h

« Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l'histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l'art. Cette botanique de la mort, c'est ce que nous appelons la Culture. »
Cette semaine, Jacques de Vendôme, nous fait parvenir la photo d’un masque, Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



Jacques a acheté ce masque lors d’une vente aux enchères de la collection Jacques Kerchache. La mort de Jacques Chirac en modifie-t-elle la valeur ?

L’amour de notre ancien président pour le terroir et la bonne chère, ne doit pas nous faire oublier qu’il était aussi un remarquable homme de culture. Son goût pour les arts extra-occidentaux l’a conduit à œuvrer pour la création du Musée du quai Branly qui porte aujourd’hui son nom. Ce musée est l’héritier du Pavillon des Sessions au Louvre. Jacques Kerchache, un marchand érudit, lié d’amitié avec Jacques Chirac, est à l’origine de ce projet. Il vise à promouvoir au sein du plus prestigieux musée français un art encore trop oublié : l’art extra-européen, et parmi eux : l’Art d’Afrique.

Le masque que nous présente Jacques, est en bois à patine grise, il figure un animal à la bouche dessinée par une simple incision et deux petites narines. Les yeux, le nez, les oreilles, sont traités par un dessin synthétique qui dégage la forme par un savant jeu sur le vide. A l’arrière du masque des cordes tressées et un bâton en bois permettent de le porter : le masque a été « dansé ».

Cette forme plutôt rare correspond au Singe Noir. Il s’inscrit dans la mythologie Dogon, un peuple localisé au Mali, dans ce qui était l’ancienne colonie du Soudan français. Ce masque a probablement été porté lors d’une cérémonie, ce qu’il faudrait vérifier en observant les marques laissées à son revers.

L’Art africain a rapidement été collectionné par les voyageurs européens d’abord comme objet de curiosité. L’introduction de ses formes dans la peinture des avant-gardes européennes a bouleversé la vision de l’homme occidental sur les créations de ces peuples injustement qualifiés de « primitifs ». L’impact des masques africains sur l’œuvre de Picasso ou Braque pour ne citer que deux exemples, ont irrémédiablement changé notre façon de les regarder.

L’art africain n’ayant a priori pas subi de rupture brutale de style, des masques continuent aujourd’hui encore à être produits. Ils inondent le marché, rendant parfois difficile l’expertise des pièces authentiques. On a tendance à penser qu’un « bon » masque, c’est un masque qui a été « dansé », un masque qui a été destiné à la célébration d’un évènement culturel ou religieux. La provenance, c’est à dire l’origine de la pièce, est peut être encore plus valorisée dans l’art extra-occidental que dans les autres productions. Elle permet d’une part de relier l’œuvre à un collectionneur avisé, et d’autre part, à établir la traçabilité de l’œuvre : quand-a-t-elle quitté le continent africain ?

Compte tenu de sa provenance très prestigieuse et de sa relative rareté, le masque Singe Noir n’est pas le plus commun, l’œuvre de Jacques pourrait être estimée plusieurs milliers d’euros. Elle a quitté le monde pour lequel elle était destinée pour entrer dans celui de l’Art.

Selon le mot de Chris Marker, réalisateur passionné, dont nous avons rappelé le précepte en introduction, comme les présidents, « les statues meurent aussi », le souvenir lui : demeure intact.
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