FR
EN

Un œuf de pâques à la bretonne !

Samedi 08 juin 2019 à 07h

Brigitte de Sambin présente aujourd’hui un œuf en faïence dont elle souhaite connaître l’origine. Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



La faïence que nous livre notre lectrice prend la forme d’un œuf couvert reposant sur une base tripode. Le fretel, c’est-à-dire la prise qui sert à ouvrir le couvercle figure un ruban. Le décor est en trois parties : les pieds sont peints de motifs décoratifs bleu, vert et jaune - la partie inférieure de l’œuf d’une scène populaire dans un fond blanc – la partie supérieure d’un cartouche aux armes de la Bretagne soutenues par deux lévriers et une couronne fantasmée, accostées de rinceaux verts sur fond bleu.

La scène populaire figurée présente un homme en costume traditionnel prenant par la main une jeune femme à la coiffe bretonne (une catiole du pays de Renne) esquissant un pas de danse (?). Cette représentation nous rappelle inévitablement le « genre breton » c’est-à-dire une peinture pittoresque très à la mode dans la seconde moitié du XIXe siècle. La Bretagne est alors rêvée lointaine et intemporelle, ilot métropolitain ayant « échappé à la modernité », on est davantage dans l’idéalisation que dans la caricature que le personnage de Bécassine incarnera quelques décennies plus tard.

Dans « L’Encyclopédie des céramiques de Quimper » aux éditions de la Reinette, l’œuf de Brigitte est présentée page 411 du tome consacré au XIXe siècle. Cette identification d’une forme extrêmement proche, pour une hauteur approximative de 30 cm, nous permet d’attribuer avec une quasi-certitude l’œuf de Brigitte à la manufacture de Quimper. Toutefois, il faudrait vérifier qu’un monogramme « PB », « HB » ou « HR » figure sur la pièce. Ces trois monogrammes correspondent aux manufactures actives à Quimper à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Les fours de Quimper en important de l’argile de Bordeaux ou de Rouen, permettent alors à la ville de devenir le centre céramiste le plus important de l’Ouest. Un artiste, Alfred Beau, met son coup de crayon au service du genre breton, et ses gravures obtiennent un succès qui s’étend au décor des faïences. L’œuf de Brigitte a un décor différent que celui présenté dans l’Encyclopédie, mais ce décor est repris sur des pièces ayant d’autres formes. On comprend donc que les céramistes puisaient dans un répertoire de formes préexistantes pour y adapter des modèles qu’ils connaissaient par la gravure.

Cette œuvre est l’incarnation du genre populaire et de la montée des régionalismes à une époque où la révolution industrielle va peu à peu harmoniser et donc indifférencier tout le territoire national. Il est compréhensible que cette perte à venir des traditions soit compensée par un vif regain d’intérêt pour le régional et ce qui en constitue les particularités. En parfait état, sans fêle ni choc, l’œuf couvert de Brigitte, s’il est de Quimper, pourrait être estimé entre 80 et 150 euros, anticipant par sa naïveté le départ de Paul Gauguin à Pont-Aven à la recherche d’un monde perdu…
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :