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Normande la conquérante !

Samedi 25 mai 2019 à 07h

Une lectrice de Blois présente aujourd’hui une gravure dont elle souhaite connaître l’origine. Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis



« Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire, ni fade adulateur ni parleur trop sincère. Et tâchez quelquefois de répondre en Normand ». Vers 1770, le goût rocaille du règne de Louis XV s’estompe peu à peu au profit d’une peinture plus grave. C’est précisément de cette époque que date le dessin original de cette gravure, exécutée presque un siècle après le mot de La Fontaine.

Cette épreuve en couleurs figure une vieille femme légèrement tournée vers la droite, portraiturée en buste. Regardant vers l’avant, son bonnet à la mode normande laisse à peine apparaître sa coiffure grisonnante. Elle nous rappelle inévitablement les portraits de Greuze, ceux d’un genre moins idéalisé, dessinant sans concession des sujets authentiques.

L’œuvre présentée a été réalisée au burin, c’est-à-dire que l’artiste a creusé à l’aide d’un stylet en métal une plaque de cuivre. La soustraction de matière crée dans le support des rigoles, dans lesquelles l’encre va pouvoir se déposer, on parle de taille douce, par opposition à l’encre nappée en surface : la taille d’épargne. En pressant la plaque encrée contre une feuille, ce procédé permet de multiplier l’image presque à l’infini. Mais notre gravure a une particularité : sa polychromie. Le graveur a du renouveler l’opération autant de fois qu’il y a de couleurs différentes, ici vraisemblablement deux. Mesurant 28 cm de haut par 22 cm de large, notre épreuve est signée « Wille » pour Johann Goerge Wille (1715-1808) un artiste d’origine allemande actif en France durant le règne de Louis XV. Elle est titrée « Bonne Femme de Normandie », et a été réalisée d’après le dessin de Pierre Alexandre Wille, le fils de notre graveur. Les inscriptions présentes dans la marge nous livrent de nombreuses informations sur le contexte de l’œuvre. Wille père était actif Quai des Augustins à Paris, il avait le titre de « graveur du roi ». La gravure est dédiée à Jean Valentin Meyer un négociant d’Hambourg dont on a perdu la trace. Cette gravure apparaît dans le catalogue complet des œuvres de Jean Goerges Wille par Charles Le Blanc en 1847, elle s’inscrit dans les sujets de fantaisie. On apprend qu’elle était vendue pour 3 francs, preuve de son succès et en conséquence de son abondance dans les collections. Il existe trois versions de notre gravure, la plus rare est en noir et blanc avec un blason dans la marge. Une épreuve de cette version est conservée dans les collections du British Museum à Londres.

La gravure de notre lectrice est un superbe témoignage du changement de goût de la fin du règne de Louis XV mais elle est malheureusement très commune. Nous l’estimons entre 20 et 30 euros. Peut-être davantage pour la version la plus ancienne, présentée dans les collections anglaises, elle nous rappelle qu’Albion a été conquise par des normands…
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