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Un trésor gaulois caché dans le Loiret

Mardi 16 avril 2019

La République du Centre, Florent Buisson

L’histoire dans l’Histoire
En février 2012, une série de bijoux, très anciens, est découverte dans le champ d’un agriculteur de Tavers, près de Beaugency. Sept ans plus tard, après avoir essayé de mettre la main dessus, l’État vient de classer l’ensemble, datant du VIe siècle avant Jésus-Christ, « trésor national », pour empêcher qu’il quitte le pays. Il sera vendu le 4 mai, aux enchères, au château de Meung-sur-Loire...

Uderzo et Goscinny n’auraient pas imaginé meilleure histoire. Celle d’un agriculteur de Tavers, petit village près de Beaugency, et de son formidable trésor gaulois.

« Fin 2011, deux passionnés d’archéologie locale viennent me voir, raconte l’homme, qui préfère garder l’anonymat. Ils
voulaient passer mon champ (connu pour recouvrir les vestiges d’une villa romaine) au détecteur de métaux. En février
2012, ils sont tombés sur un ensemble d’objets, dans 30 centimètres de terre. »

Mais l’histoire se gâte un peu. Le couple d’agriculteurs à la retraite, 77 et 75 ans, est convoqué manu militari par la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), où, en substance, on leur fait comprendre qu’ils viennent de mettre au
jour un « trésor inestimable » et que la découverte doit rester secrète.

Mais pas un mot sur sa valeur, ni sur l’origine des fameux objets. « Ils seront expertisés » leur assure-t-on. Puis un autre rendez-vous est fixé au couple, courant 2012. « Ils nous disent alors que les objets ne seront pas restitués avant cinq ans…»

À l’été 2014, une opération de fouilles archéologiques est menée par un universitaire toulousain et ses étudiants, sur le site.

Classé « trésor national » le 6 avril.

Les recherches sont fructueuses, quelques autres pièces sont découvertes, l’ensemble resitué dans son contexte historique et le tout daté précisément. L’assortiment découvert en 2012 (des colliers, bracelets, petites armes) est daté de la seconde moitié du VIe siècle avant Jésus Christ.

En pleine Gaule, bien avant les Romains. Mais le couple d’agriculteurs n’en sait rien du tout. Ils l’apprendront sitôt le rapport des scientifiques publié, en 2015. Et il faudra attendre janvier 2018 pour que les deux retraités soient reçus de nouveau à la Drac, à Orléans. On leur explique que les fameux objets n’ont pas été expertisés. Ils insistent. « Voyez ça avec un brocanteur ! » finit-on par leur répondre.

Offensé, le couple repart avec les objets, tape aux portes du Conseil régional, de la ville d’Orléans, sans succès. Jusqu’à un coup de téléphone du musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.

Un agent fait le déplacement puis repart avec les pièces, pour les faire expertiser. Échaudé, le couple indique alors qu’il procédera aussi à une expertise, de son côté, et finit par entrer en contact avec Philippe et Aymeric Rouillac, commissaires-priseurs dans le Loir et Cher et experts nationaux des enchères (lire ci-contre).

Aymeric Rouillac les reçoit, avec égard, pendant une demi-journée. Il vendra bien leur trésor. « On a travaillé toute notre vie pour avoir ce que l’on a, et là, ça nous tombe tout cuit… » s’excuse presque, aujourd’hui, l’agricultrice, minée par six ans d’un feuilleton fou, mais pesant. Elle n’assistera d’ailleurs pas à la vente aux enchères, le 4 mai, au château de Meung-sur-Loire.

La mise à prix a été fixée à 50.000 euros. Mais si les prix pourraient s’envoler, les objets ne quitteront pas la France. Le ministère de la Culture a classé l’ensemble « trésor national », empêchant leur sortie définitive du territoire. Un classement exceptionnel qui ne concerne qu’une poignée d’objets, chaque année, en France.

Si l’État souhaite préempter le trésor, il devra s’aligner sur l’enchère la plus importante… ■

Soixante-cinq pièces, datées du VIe siècle avant Jésus-Christ

Trois chercheurs et universitaires (*) ont étudié de très près le trésor de Tavers. Dans un rapport de plus de 200 pages, publié en 2015, ils ont conclu au caractère exceptionnel de l’ensemble. « Le dépôt comporte 65 éléments, essentiellement en alliage cuivreux, mais aussi en fer pour quatre d’entre eux ; cette association des deux métaux est exceptionnelle dans ce contexte. »

Mais de quoi s’agit-il, alors ? « Les objets du trésor datent du Hallstatt moyen, qui correspond aux environs de 625 à 510 avant Jésus-Christ, soit le Premier âge du fer, détaillent Philippe et Aymeric Rouillac, les commissaires-priseurs qui procéderont à la vente du 4 mai prochain. Ces 65 éléments (très bien conservés) sont composés de cinquante-huit pièces en alliage cuivre et sept en fer et plomb. Les objets de parures féminines sont les plus nombreux. Cinq colliers torques entiers et cinq autres fragmentaires, dix-huit bracelets dont six entiers, quatre anneaux de chevilles ou bracelets fragmentaires, ou encore une épingle à col de cygne sont notamment inventoriés. Trois armes sont par ailleurs recensées, ainsi qu’un outil spécialisé, un fragment de vaisselle, des objets miniatures et polyvalents ».

Et d’ajouter, pour contextualiser, que l’ensemble a pu être enterré là, sous 30 centimètres, comme un trésor qu’il aurait été facile de retrouver. En théorie.« Ces objets au style ligérien matérialisent l’art de vivre de l’élite gauloise sur les bords de Loire au Premier âge du fer », ajoutent les experts. Rappelons que si le trésor avait été découvert après 2016, il serait obligatoirement devenu propriété de l’État. Depuis une loi de 2016, toute découverte archéologique est ainsi « présumée appartenir à l’État ». ■
(*) Pierre Yves Milcent, Chritian Cribellier et Arthur Tramon.

Chasseurs de trésors de père en fils

PHILIPPE ET AYMERIC ROUILLAC. Les Rouillac père et fils sont devenus au fil des années des stars du marteau. Grâce à un certain talent pour dénicher des objets uniques, au parcours rocambolesque. Citons le coffre du cardinal Mazarin, vendu 7,3 millions d’euros en 2013, au Rijksmuseum d’Amsterdam. Ou encore une toile des frères Le Nain, classée trésor national et vendue 3,6 millions d’euros, en 2018. Mais c’est aussi leur style, volubile mais précis, et un certain sens de la communication qui les a fait connaître. Arte leur a ainsi consacré un documentaire, tout comme Laurent Delahousse, l’an dernier. La Rep’, tout comme La Nouvelle République, relatent aussi, depuis de longues années, les aventures de Phlippe Rouillac, originaire d’Orléans, puis de son fils. (Photo F. B.)

LES DATES FORTES

1972. L’agriculteur achète un terrain, à Tavers, futur lieu de la découverte.
Février 2012. Avec l’autorisation du propriétaire (l’agriculteur alors à la retraite), deux hommes fouillent ce même champ, puis trouvent une série d’objets très anciens dans 30 centimètres de terre.
Juin 2014. Une étude du terrain en question est décidée par les services de l’État.
Août/septembre 2014. Des fouilles archéologiques sont réalisées dans le champ.
2015. Un rapport de 200 pages est publié sur les fouilles. Il détaille et contextualise la découverte du trésor.
juillet 2016. La loi change. Jusque-là, la propriété d’un trésor revenait à « celui qui le trouvait dans son fonds, ou par moitié au propriétaire et au découvreur».
Depuis juillet 2016, toute découverte archéologique est « présumée appartenir à l’État ».
Début 2018. Après plus de cinq ans, le couple de retraités peut récupérer le trésor gaulois, qui a notamment séjourné au
Centre de conservation et d’étude (CCE) de Saint-Jean-de-la- Ruelle.
Automne 2018. Le couple se rend à Vendôme (Loir-et-Cher), à l ’ étude des commissaires-priseurs Philippe et Aymeric
Rouillac, pour montrer son trésor et le faire expertiser.
1er avril 2019. L’État demande officiellement au couple de retraités de fournir un document officiel, attestant qu’ils sont bien
les propriétaires du site.
6 avril 2019. L’ensemble des 65 pièces est classé trésor national. C’est-à-dire qu’il ne peut quitter le territoire hexagonal, mais peut tout de même être vendu.
4 mai 2019. Vente aux enchères des 65 pièces, au château de Meung-sur-Loire, à quelques kilomètres de leur découverte, à partir de 16 heures. La mise à prix est fixée à 50.000 euros.
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