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Fleurs éternelles

Samedi 09 mars 2019 à 07h

Cette semaine, Joëlle, de La Chausée-Saint-Victor, écrit à Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, afin qu’il lève le voile de mystère qui recouvre un objet trouvé dans le grenier.



À la faveur des beaux rayons de soleil de ces derniers temps, les premières fleurs sortent de leur long sommeil hivernal. De tout temps, elles ont été un sujet de prédilection pour les artistes et les artisans. Les hommes s’en servent afin d’exprimer leurs sentiments. Rien d’étonnant donc à ce que le jardin de l’Art soit bien « fleuri ». On pense immédiatement aux splendides et précis bouquets flamands de la Renaissance, aux puissants tournesols de Van Gogh ou encore au polémique bouquet de tulipes de Jeff Koons. Au cours des siècles, la main de l’artiste hésite entre reproduction fidèle et interprétation, entre sujet principal ou simple ornement. En ce qui concerne les Arts décoratifs, s’il est une période qui met la nature à l’honneur pour ce qu’elle est, et qui la glorifie c’est bien l’Art Nouveau. Ce courant naît en Europe à la fin du XIXe siècle. En France, c’est l’École de Nancy qui l’impulse et le diffuse. Et lorsque l’on songe à la Lorraine Art Nouveau, on ne peut pas ne pas évoquer la verrerie, et son maître incontesté : Émile Gallé.

Le vase de Joëlle ne provient pas des ateliers Gallé où chaque pièce est signée. Il est en revanche l’héritier du style et de la technique de la célèbre verrerie. Les fleurs sont reproduites fidèlement. Nos lecteurs jardiniers y auront d’ailleurs reconnu des primevères oreille d’ours. Leur disposition fort symétrique trahit en revanche une période de production postérieure à l’Art Nouveau, qui s’achève avec la Grande Guerre. Cet objet est né dans les années 1920-1930, dans un style Art Déco. En caressant le décor, vous constaterez qu’il est en léger relief et de couleurs différentes, à l’image des camées de nos grands-mères. On peut en déduire qu’il est constitué de deux couches de verre. En effet, il résulte d’une technique bien particulière : la gravure à l’acide.

L’artisan prépare sa boule de verre en fusion constituée de plusieurs « strates » de couleurs différentes. Il va ensuite la souffler à la canne, souvent dans un moule, et lui donner la forme souhaitée. Une fois refroidie, la pièce passe entre les mains du graveur qui va dessiner le décor, protégeant certaines parties avec un vernis. Il la plonge ensuite dans un bain d’acide fluorhydrique qui va mordre les parties non protégées. Ici, ce sont les fleurs, les feuillages et le col qui ont été vernis, gardant ainsi leurs couleurs orange et violette, et leur brillant. Le fond jaune avec des nuances orangées qui lui donnent l’aspect du marbre a été rongé et est donc quant à lui mat. Quel beau contraste !

Quid de son utilité ? De forme dite tulipe, elle ne peut tenir debout sans risques… De petite taille, 12 cm de haut pour 12 cm de diamètre, il s’agit d’une coupe, d’un vase ou d’un pot-pourri orphelin de son piètement. Ce dernier était d’ailleurs très probablement en fer forgé comme c’était la mode à l’époque.
Sur une photographie apparaît clairement un fêle très important. Un accident rédhibitoire ! Toute verrerie accidentée perd considérablement sa valeur.

Tous ces éléments font qu’il n’est guère possible d’estimer cet objet plus de 10 à 20 € en brocante. Une paille pour un bouquet de fleurs… éternelles !
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