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Aquarelliste de guerre

Samedi 10 novembre 2018 à 07h

Cette semaine, Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, répond à Colette, de Faverolles-en-Berry, qui souhaite connaître le prix de « cartes peintes à la main pendant la Guerre de 1914 ».



À la faveur de progrès techniques considérables, la guerre 14-18 est le premier conflit à être autant photographié. Nous avons tous en mémoire certains clichés, terribles. Nos ancêtres n’en ont pourtant probablement jamais eu connaissance. En effet, le gouvernement veille, à l’aide de la censure et du « bourrage de crâne », à ce que l’horreur du front ne touche pas « l’arrière ». Aux photographes amateurs succèdent rapidement les premiers reporters de guerre. Ils ont une mission : « vendre » la guerre. Des reportages photographiques entiers font l’objet de publications dans des revues de propagande dédiées telle « L’Illustration ». C’est le seul lien entre la population et leurs soldats. La photographie s’impose ainsi dans le quotidien des Français. Les appareils photos non officiels sont ainsi non grata dans les tranchées. Ce n’est pas le cas des crayons et des boîtes de couleurs. Certains mettent la guerre en vers comme Guillaume Apollinaire, d’autres la dessinent, comme Otto Dix. C’est l’horreur qu’ils couchent sur le papier.

Les six œuvres que possède Colette ne font quant à elles pas état des atrocités de la guerre. Elles étonnent au contraire par leur côté paisible. Leur auteur en a signé et daté deux : Velé 1916. Elles sont en revanche toutes légendées : ici « Vauquois », la célèbre butte entièrement détruite aux explosifs, là « La fusée » qui éclaire un « no man’s land » comme en plein jour sous le regard de deux soldats. Nous avons aussi « Le petit jour à la Côte » qu’ignore un soldat encore profondément endormi. Vient ensuite « un lieu indésirable » - une forêt détruite et « Pélissier », probablement le nom d’une tranchée, animée deux Poilus portant nonchalamment une pelle sur l’épaule. Enfin, et plus étonnant, un dessin humoristique montrant deux soldats jouant aux cartes dans une tranchée. Il porte la légende « On les aura… mal battues, mon pauvre vieux ». Ces œuvres sont réalisées à l’aquarelle sur des morceaux de papier rectangulaire qui doivent faire la taille d’une carte postale. Les couleurs sont douces, fort diluées. Velé était peut-être un vaillant combattant mais il n’en reste pas moins un peintre du dimanche resté anonyme. Il peint toutes ces scènes comme il peindrait l’église de son village, un massif de fleurs ou un beau paysage : tout est serein, et calme. Avait-il un officier qui veillait au grain au-dessus de son épaule ? Tenait-il simplement à ne pas reproduire les terribles images gravées dans son esprit ? Quoi qu’il en soit, même si ces cartes ne sont pas l’œuvre d’un grand maître, elles restent un témoignage émouvant de la vie quotidienne dans les tranchées lorsqu’elles ne sont pas tachées de sang, de boue et de poudre. Nous pouvons estimer les six œuvres de notre aquarelliste de guerre entre 60 et 100 € l’ensemble.

« Si je mourais là-bas sur le front de l'armée (…) mon souvenir s'éteindrait ». Un siècle plus tard, notamment grâce à des aquarelles telles que celles de Colette, faisons en sorte que le souvenir d’Apollinaire - à qui l’on doit ces lignes - et de ses millions de compagnons, ne s’éteigne pas.
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