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Qui veut acheter mes moutons ?

Samedi 22 septembre 2018 à 07h

Cette semaine, Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, répond à Micheline, de La Chaussée-Saint-Victor, qui souhaite connaître l’estimation d’un tableau représentant une ville orientale.



L’Orient ! Que de rêves et de fantasmes n’a-t-il pas nourri en Occident ? Si les « turqueries » sont déjà à la mode à la Cour de Louis XIV, la fascination pour ce monde lointain, coloré et épicé, se développe véritablement en France au début du XVIIIe siècle. La traduction des Mille-et-une Nuits, un recueil de contes populaires persans, et leur publication à partir de 1704, y est pour beaucoup. Si l’élite du siècle des lumières se cantonne à des références plutôt discrètes à l’Orient dans les arts, le XIXe siècle, lui, en sera fou. Il met un pied en Orient par l’Égypte avec la célèbre campagne du général Bonaparte. Mais c’est surtout la conquête de l’Algérie (qui se solde par la prise d’Alger en 1830) qui va permettre aux artistes français de se rendre dans cet Orient mystérieux qui, de fait se déplace de la Perse au Maghreb. Le courant orientaliste naît ainsi en pleine période romantique. Eugène Delacroix, qui se rend à Alger dès 1832, est l’un de ses plus célèbres représentants. Cet enthousiasme va crescendo jusqu’à la première moitié du XXe siècle et à des noms célèbres comme Dinet ou Majorelle se mêlent ceux de peintres moins connus. Maurice Bouviolle est de ceux-là.

Né à Beauvais en 1893, Bouviolle entre à l’école des beaux-arts de Paris en 1910. Deux ans plus tard il rencontre le peintre Maxime Maufra qui l’encourage à se rendre en Algérie. Son service militaire l’y conduira. En 1921, il expose au Salon des artistes orientalistes algériens à Alger. Le succès ne se fait pas attendre. L’année suivante, il remporte le prestigieux prix Abd-el-Tif qui permet à de jeunes artistes talentueux de séjourner quelques années au frais de l’État dans une superbe villa d’Alger. L’équivalent du prix de Rome et de la villa Médicis en terre berbère ! En 1923, à Paris, il obtient la médaille d’argent au Salon des artistes français pour le « Marché à Ghardaïa ». Sa notoriété est désormais assurée. Il travaille à plusieurs reprises pour l’État mais préfère s’évader au sud, dans la région du Mzab et poser son chevalet là où ses émotions le lui dictent. Et ses faveurs se portent plus précisément sur Ghardaïa, la capitale de cette vallée aujourd’hui classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Fondée au XIe, cette cité « carte postale » de toute beauté est dominée par le minaret de sa mosquée qui adoptent une forme pyramidale. On le distingue à l’arrière-plan du tableau de Micheline.

Il représente une scène de la vie courante : un jour de marché sur la place de Ghardaïa, reconnaissable à ses arcades. Les couleurs, posées en rapides et franches touches, sont vives et les contrastes marqués. Ce tableau est gai, vivant. Il suffit de tendre l’oreille pour entendre marchander ces vendeurs de moutons. Nous voici bien loin des scènes pompeuses imaginées par les grands orientalistes du début du XIXe siècle ! C’est cette sincérité, que l’on retrouve également chez son contemporain Jacques Majorelle, qui est appréciée chez celui que l’on surnomme le « chantre du M'Zab ». Intérêt que lui porte encore le marché. Ainsi, cette œuvre signée en bas à droite mesurant 55 cm par 65 cm peut être estimée autour de 1 000 € en vente aux enchères, sachant qu’une bonne surprise est possible… ! Comme on dit « là-bas » : inch’allah !
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