FR
EN

AU BOULOT !

Samedi 08 septembre 2018

Cette semaine, Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, répond à Jean-Pierre, de Vineuil, qui souhaite connaître la valeur d’un bureau.



Les vacances sont, pour bon nombre de nos lecteurs, terminées. Jean-Pierre nous donne ainsi l’occasion de rédiger un Trésor studieux, mais qui, vous allez le voir, nous permettra également de voyager. De quoi se remettre dans le bain en douceur.

Ce bureau est un bureau plat dit « à gradin », car il possède un « étage » comportant six tiroirs qui est fixé au plateau. Un grand tiroir flanqué de deux caissons à deux tiroirs chacun ouvre en ceinture. Sur chaque côté se déploie une tirette qui, lorsque l’on en a pas l’utilité, vient se loger sous le plateau. Il repose sur quatre pieds tournés et sculptés de godrons que l’on nomme « pieds parapluie » car ils ressemblent à l’objet éponyme lorsqu’il est plié. L’utilisation de ce style de piètement, typique du style Louis-Philippe, ne laisse aucun doute quant à la datation de ce meuble : il est né dans le second tiers du XIXe siècle. Un bureau somme toute assez simple mais confortable et bien pratique, comme on les aime à l’époque ! Ils ont toujours une petite cote et celui-ci pourrait trouver amateur entre 250 et 350 €.
Mais ce qui fait son principal attrait est le bois dont il est recouvert, ou plutôt plaqué. Observez le tiroir central : des manques de placage laissent apparaître le bâtit du meuble, fait d’un bois plus clair. Sur ce bois « de base », l’ébéniste est venu coller de fines feuilles d’un bois précieux de couleur rouge dont les flammes, les nuances de teinte, jouent avec la lumière. Il s’agit de l’acajou.

Ce bois provient d’un arbre que l’on rencontre dans nombre de contrées tropicales à travers le monde. Mais celui qui nous intéresse, c’est l’acajou de Cuba. Il pousse dans les Caraïbes et les Antilles. Son histoire est liée au commerce triangulaire. En repartant des Antilles, souvent avec un chargement plus léger, les bateaux marchands et négriers avaient coutume de lester leurs cales avec des bois denses, donc lourds, comme l’acajou. De retour dans les grands ports français comme Dunkerque, Nantes ou Bordeaux, ces bois étaient vendus aux ébénistes et négociants. Sous Louis XV, l’acajou n’a pas vraiment la cote. Il n’y a guère que les ébénistes de ces ports qui en font de superbes meubles en bois massif. À Paris, on lui préfère l’amarante ou le bois de rose.

Sous Louis XVI, alors que l’on recherche la pureté dans les lignes et les matériaux, l’acajou, beau par nature, s’impose peu à peu. Et que dire de l’Empire ? Ce style est un triomphe pour le bois rouge. Il est partout ! Et même là où ne l’attend pas… Lorsque Napoléon meurt en 1821, on place sa dépouille dans un cercueil… en acajou ! En revanche, les Bourbons décident d’abandonner peu à peu l’acajou, bois à connotation trop impériale, pour des bois clairs. Il reviendra sous Louis-Philippe, la preuve avec le bureau de Jean-Pierre. Mais cet acajou n’est plus celui des grandes heures de l’Empire ! On a recommencé à en importer en masse. Tant et tant qu’il paraît que les premières traverses du chemin de fer de Nantes sont faites… d’acajou massif !

Ainsi, même si le bureau de Jean-Pierre n’est pas un chef d’œuvre d’ébénisterie, il est cependant plaqué d’un des bois les plus prisés de l’histoire des Arts Décoratifs. Et qui l’est toujours aujourd’hui. Un mètre cube d’acajou de Cuba se négocie actuellement 30 à 50 000 € ! Ce qui entraîne d’ailleurs un trafic terrible.
Allez, adieu les Antilles et au boulot !
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :