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Au château d'Artigny deux records mondiaux pour pièces muséales

Vendredi 15 juin 2018

La Gazette Drouot, Philippe Dufour

Chine, époque Qianlong (1736-1795),
gourde baoyueping en porcelaine émaillée céladon sur la panse et en bleu sous couverte sur les côtés et le
col, h. 49 cm.
Adjugé : 5 089 000 €
Frères Le Nain, Jésus enfant en adoration de la Croix,
huile sur sa toile d’origine,
entre 1642 et 1648, 72 x 59 cm.
Adjugé : 3 596 000 €
Auguste Rodin (1840-1917) et Albert-Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887),
pour la manufacture de Choisy-le-Roi,
Jardinières des Titans, 1899, céramique émaillée,
h. 71, diam. 50 cm.
Adjugé : 155 000 €
Chine, époque Yongzheng (1723-1735), bol en porcelaine émaillé et polychrome de la famille rose à décor de pivoines dans un feuillage sur fond rubis, marque de Yongzheng à six caractères en kaishu, diam. 12,2 cm.
Adjugé : 86 000 €
François Boucher (1703-1770),
scènes pastorales dans des encadrements rocaille,
quatre toiles cintrées en partie supérieure,
274 x 70 cm.
Adjugé : 496 000 €

ADJUGÉ EN RÉGIONS

Un feu d’artifices de prix hors norme émaillait cette période traditionnellement propice aux belles surprises. Au château d’Artigny, le dimanche 10 juin, la maison Rouillac OVV dévoilait ses trésors, dont deux établissaient des records mondiaux. Le premier prenait la forme sophistiquée d’une gourde de porcelaine dite «baoyueping», sortie des ateliers impériaux de Qianlong (1736-1795), qui fusait à 5 089 000 €, en raison de sa taille et de son superbe décor sous émail céladon. Le second s’avérait un tableau inconnu des Frères Le Nain, le Christ enfant méditant sur les instruments de la Passion, disputé jusqu’à 3 596 000 €. On reprenait son souffle avec François Boucher, auteur de Scènes pastorales dans des encadrements rocaille, des cartons pour tapisseries tissées aux Gobelins, et qui étaient décrochés pour 496 000 €. Auguste Rodin, et son complice Albert-Ernest Carrier-Belleuse avait créé pour la manufacture de Choisy-le-Roi la Jardinière des Titans en 1899 : 155 000 € la couronnaient ici.

AU CHÂTEAU D’ARTIGNY, DEUX RECORDS MONDIAUX POUR PIÈCES MUSÉALES

Elle revient chaque année depuis bientôt trois décennies avec son lot de surprises (de taille) et de coups de théâtre : il s’agit bien sûr de la vente Garden Party, maintenant au château d’Artigny, organisée par la maison Rouillac OVV. Le millésime 2018 – avec un chiffre global de plus de 10 300 000 € pour le seul dimanche 10 juin – ne dérogeait pas à la tradition, ayant convoqué quelques vedettes, dont l’une impériale. Une grande gourde en porcelaine (voir page 212), portant la fameuse marque carrée du souverain Qianlong (1736-1795), était adjugée pour 5 089 000 € à un acheteur français, face à neuf groupes d’enchérisseurs de Chine et de la diaspora. Un record mondial pour ce type d’artefact, car «il n’y a que deux gourdes comme cela au monde, elle est donc inestimable», souligne Me Rouillac, l’autre ayant été vendue pour 1 801 000 € en avril 2016 chez Sotheby’s à Hong Kong (soit 2,82 fois moins). Découverte dans un château du Val de Loire par le commissaire-priseur, elle avait été probablement ramenée de Chine par un ancêtre de la famille, officier d’état-major de la Marine royale dans les années 1842-1847. Sortie des fours de Jingdezhen, la gourde présentait une forme ronde et aplatie dite baoyueping, arborant un décor en partie moulé, et en partie peint, aux huit symboles bouddhiques bajixiang dans des pétales de lotus stylisés, sous une spectaculaire engobe céladon.

L’autre invité star de la vacation n’était autre que l’Enfant Jésus, sous le pinceau des frères Le Nain : leur Christ enfant méditant sur les instruments de la Passion atteignait 3 596 000 €. Un chef-d’œuvre inconnu jusqu’à ce jour, récent, où Me Rouillac le découvre dans une demeure vendéenne. Il marquait un record mondial pour les productions de la fratrie d’artistes. Il s’inscrit malgré l’interdiction de sortie du territoire de l’œuvre émise par le ministère de la Culture, dû à son statut de Trésor National attribué en avril dernier. Peint vers 1642, cet émouvant Jésus prenant conscience de son futur sacrifice suscitait l’engouement de trois collectionneurs français, dont l’un l’emportait... Sans avoir à craindre la concurrence des musées nationaux qui, paradoxalement, n’utilisèrent pas leur droit de préemption. En revanche, ce dernier fut utilisé par le château de Sceaux qui a préempté pour 496 000 € les Scènes pastorales dans des encadrements rocaille mettant en scène des enfants, pièces commandées par la Marquise de Pompadour à François Boucher puis tissées par la manufacture des Gobelins ; ces cartons avaient été montés sur quatre toiles d’Alexis Peyrotte, et livrés pour le château de Crécy avant de gagner les collections du duc de Penthièvre à Sceaux.

Mais revenons sur les trésors ramenés par notre officier de Marine : parmi les onze lots issus de ses collections, on admirait aussi deux bols en porcelaine, ayant servi personnellement à l’empereur Yongzheng (1723-1735). Le premier, émaillé et polychrome de la famille rose, doté d’un décor de pivoines sur fond rubis, fusait à 86 000 € ; tandis que le second agrémenté en bleu sous couverte de cinq chauves-souris, symbolisant les cinq bonheurs, sur fond céladon, recueillait 68 200 €. Suivaient cinq autres bols qui portaient la marque à six caractères en bleu sous couverte, et en zhuanshu, de l’empereur Daoguang (1821-1850), dont l’un destiné à la fête de l’anniversaire de la mère du souverain. Cet ensemble, essentiellement décoré de médaillons sur fond de couleur, selon la technique dite «sgraffiato» (ya dao), totalisait 202 000 €.

La vente s’est poursuivie l’après-midi avec des enchères fort soutenues. À commencer par une oeuvre d’Auguste Rodin associé à Albert-Ernest Carrier-Belleuse, pour la manufacture de Choisy-le-Roi : la Jardinière des Titans. Témoignant de la fructueuse collaboration entre les deux grands sculpteurs en 1899, cette pièce majeure était achetée 155 000 €. Camille Claudel était aussi présente avec son groupe, créé en 1896, des Causeuses, ici proposé dans une fonte posthume à la cire perdue de Coubertin moyennant 65 000 €, qui devait être acquis par le château de l’Islette en Indre-et-Loire.

À 62 000 €, un choix s’imposait ensuite entre une Traversée de la mer Rouge, peinte sur panneau parqueté par Frans Franken, et une soupière «au putto» en argent par Jean-Charles Cahier, d’un poids de 7,770 g (poinçon «2nd Coq» et moyenne garantie de Paris, 1809-1819), ayant appartenu à Joseph Defermon (1752-1831), comte et ministre d’Empire. Plus art nouveau, le Portrait de Mademoiselle Amélia Hoësli par Victor Prouvé, un pastel sur toile, ne pouvait que séduire par la grâce de son modèle, et déclenchait une enchère de 44 000 €. Alors que la pendule de l’Amérique par Jean-Siméon Deverberie, en bronze doré et patine noire, datant du tout début du XIXe siècle, tintait à 42 000 €. En guise de conclusion, rappelons encore que certaines des pièces présentées n’ont malheureusement pas trouvé d’acquéreurs, à l’image de la vasque Les Métaux d’Henri Cros, du mobilier de la chambre de Balzac à Saché ou des tapisseries de la manufacture de Mortlake.
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