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Pureté et éclat cristallins

Samedi 05 mai 2018 à 07h

Cette semaine, Nicole interroge Me Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, à propos d’un objet religieux en cristal taillé



Le mois de mai, qui s’achève avec la Visitation, est officiellement associé à la Vierge Marie, depuis le XVIIIe siècle, avec l’action des Jésuites qui ont souhaité encourager le culte par cette dédicace. C’est justement l’image d’une Vierge à l’Enfant, taillée dans le cristal, que nous propose Nicole. Le thème de Marie portant dans ses bras l’Enfant Jésus est l’un des plus représentés de l’art occidental. Les artistes de la Renaissance, Michel-Ange et Raphaël en tête, ont su lui conférer une humanité et une sensibilité extrêmes qui servirent de modèle à leurs suiveurs pour plusieurs siècles. Notre Vierge à l’Enfant cristalline semble ainsi reprendre, en l’inversant, la pose de la Madone Sixtine, de Raphaël, conservée à Dresde et peinte en 1513-1514 : debout sur des nuées, elle porte Jésus dans ses bras tandis que son voile dessine des arabesques. La couleur translucide, l’aspect opalescent de la matière participent à démontrer la grande technicité de la cristallerie française. L’ornement d’oratoire sur pied de Nicole associe le cristal, moulé et taillé en biseau et à la pointe de diamants, à une incrustation de « cristallo-cérame », innovation datant du début du XIXe siècle, pour la représentation de la Vierge à l’Enfant sur le fût dont le revers est taillé en étoile. Avec son motif sommital en forme croix, il témoigne de la diversification des objets de dévotion grâce aux progrès de l’industrie.

C’est en Angleterre au XVIIe siècle qu’apparaît la technique du cristal, appelé flint-glass. Le bois employé pour construire les navires de la flotte est alors une denrée trop précieuse pour continuer à servir de combustible aux verriers. Ceux-ci choisissent bientôt d’utiliser du charbon de terre, la houille, permettant un meilleur contrôle de la température de cuisson. En outre, les artisans vénitiens inventeurs du « cristallo » transmettent leur secret aux Anglais : l’adjonction d’un oxyde métallique dans la composition du verre pour le rendre plus souple et plus facile à travailler. D’un aspect très brillant grâce à l’ajout du plomb, le cristal est adopté par toutes les Cours d’Europe et fascine par sa beauté. À Sèvres, à la fin du XVIIIe, les Français parviennent à contrefaire le flint-glass anglais en perçant à jour sa recette. Pour se rapprocher des bassins miniers, la manufacture de cristaux de la Reine déménage alors à Mont-Cenis, au Creusot. C’est le début de la cristallerie française qui connaîtra aussi ses heures de gloire à Saint Louis, Baccarat ou Clichy tout au long du XIXe siècle sous le haut patronage des rois, des puissants et des grands industriels.

Parmi les inventions particulièrement prisées de ces manufactures, on dénombre les cristallo-cérames. C’est le chevalier Pierre-Honoré Boudon de Saint Amans qui met au point cette technique après avoir visité les faïenceries anglaises. En s’associant avec le verrier londonien Apsley Pellatt, il parvient à inclure des motifs en céramique dans du cristal. Il dépose alors un brevet de son invention qu’il baptise « crystallo-céramie », appliquée à la cristallerie de Mont-Cenis à partir de 1816. Outre les sujets religieux, les cristallo-cérames représentent souvent les grandes personnalités de l’époque en buste et de profil, à l’image des camées romains dont cette technique imite l’aspect. En ce qui concerne l’ornement d’oratoire de cette Vierge à l’Enfant et à la croix, de Nicole, une estimation de 50 à 100 euros en vente aux enchères semble raisonnable mais bien peu à côté de sa valeur historique et spirituelle !
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