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UN SIPHON, PHON, PHON !

Samedi 21 avril 2018 à 07h

Cette semaine, Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, répond à Jean, de Suèvres, qui souhaite connaître l’utilité d’un « joli objet ».



Avec le retour des beaux jours, c’est aussi l’apéro, au soleil, dans le jardin qui fait son retour. Et il y a à peine 70 ans, un apéritif ne se concevait pas sans eau de Seltz.
L’eau de Seltz provient du duché de Nassau qui se situait au centre de l’Allemagne que nous connaissons. Cette eau gazeuse naturelle est célébrée depuis le XVIe siècle pour ses propriétés propriété digestives et diurétiques. On l’emploie avant tout pour les problèmes de digestion mais elle passe pour une véritable panacée. Voici ce qu’en dit un traité sur les boissons gazeuses de 1867 : « Elle empêche l'ivresse, excite la gaieté et maintient l'intelligence vive et nette », rien que ça ! Si bien que vers la moitié du XIXe siècle, le million de bouteilles que le duc de Nassau exporte dans toute l’Europe ne suffit plus. Elles font cependant sa fortune, car rare, cette eau est un luxe réservé aux plus riches.
C’est là que les pharmaciens entrent en scène. Chimistes philanthropes et fins commerçants, ils ajoutent à de l’eau pure du gaz carbonique et du bicarbonate de sodium. Et voilà de l’eau de Seltz artificielle pour tout le monde ! Car, dès lors, toute eau gazeuse obtenue par un procédé chimique avait le droit à l’appellation « eau de Seltz ».

Ce juteux commerce leur est bientôt chipé par des industriels de la boisson qui, eux aussi, flairent la bonne affaire. L’un d’eux a même l’idée de vendre en sachets la dose de poudres qu’il faut pour une bouteille. Succès triomphal ! Mais qui dit gaz, dit pression. Alors, pour éviter de vider les trois quarts de la bouteille sur la table lorsqu’on la débouche, il faut un contenant approprié !
C’est chose faite lorsque qu’en 1845 un industriel brevète « l’appareil gazogène ». Par abus de langage, il prendra le nom de la valve qui bouche la carafe et permet de servir la boisson en jet : le siphon, du latin sipho, tuyau.

À partir de 1880, ils prennent la forme que vous leur connaissez : une carafe en verre généralement teinté et une valve métallique prolongée par un tuyau en verre. Il suffit d’appuyer sur le levier qui, à l’aide d’un ressort, soulève une soupape qui libère le liquide. Ces siphons, de toutes les couleurs, sont laissés en dépôt dans les cafés et restaurants. Ce sont des objets publicitaires qui portent, gravés dans le verre, le nom du brasseur, du limonadier ou du pharmacien à qui l’on doit le mélange qui y est contenu. Rappelons que l’eau de Seltz était à la disposition des clients qui en mettaient ici dans leur vin, là dans leur absinthe ou leur apéritif. Gauguin dans « Au café » (1888) et Picasso dans « l’Absinthe » (1901) ont immortalisé cet ustensile particulièrement teinté de cet « esprit d’antan » et aujourd’hui recherché pour son côté décoratif. Mais ils ne peuvent plus servir !

Dangereux car explosant régulièrement, ils sont interdits par la loi française en 1952. C’est ce qui explique le revêtement en cannage du siphon de Bernard. Aussi inquiétant que ce soit, il est là pour éviter les projections de verre en cas d’exposition… Sa forme, à deux bulbes est peu commune, à l’image de son pied en porcelaine. Il s’agit probablement du modèle inventé par un français en 1834. La « poudre à eau de Seltz » se mélange dans le bulbe du pied et, par réaction chimique, gazéifie l’eau contenue dans le bulbe supérieur.
Inutile de tenter le diable, laissez-le en déco ! Pour vos apéritifs, vous trouverez des siphons métalliques tous neufs que vous pourrez acquérir au prix que l’on vous donnera pour ce siphon du XIXe : entre 30 et 50 € en brocante.
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