FR
EN

Vue d’un Orient biblique

Samedi 14 avril 2018 à 07h

Cette semaine, Patrick interroge Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, au sujet d’une étrange gravure.



La gravure de Patrick a comme un parfum de « Mille et une Nuits » : turban, babouches, oasis… Elle figure une Orientale auprès d’un puits donnant à boire sa cruche à un voyageur. Les chameaux de l’homme en habit de bédouin se reposent sous les palmiers en arrière- plan. Le luxe de détails et la gestuelle étudiée des protagonistes témoigne d’un sens aigu de l’observation chez l’artiste. Un titre sous l’image nous renseigne sur la scène représentée : « Rebecca à la fontaine ». Il s’agit donc d’un épisode biblique relaté dans la Genèse, (Chap. XXIV) « Le serviteur d'Abraham s'étant approché de Rebecca lui dit : donnez-moi un peu de l'eau que vous portez afin que je boive. Elle lui répondit : buvez mon Seigneur et, ôtant aussitôt le vase qu'elle portait sur l'épaule, et le penchant sur son bras, elle lui donna à boire ». L’image reprend très exactement cette description mais peut surprendre par l’exotisme des costumes et du cadre.

La peinture occidentale avait en effet pour coutume d’habiller à l’européenne les personnages de l’Ancien Testament. Tout change au XIXe siècle avec la vogue de l’orientalisme. Les artistes romantiques recherchent dans le passé et les contrées lointaines des motifs pittoresques. Les débuts de la colonisation en Afrique du Nord leur offrent un terrain d’étude de premier choix. Parmi les peintres voyageurs séduits par les motifs orientaux, Eugène Delacroix mais aussi Horace Vernet, héritier d’une dynastie de grands peintres de marines et de batailles. Directeur de l’Académie de France à Rome en 1833, il accompagne une mission diplomatique en Algérie, récemment conquise par les Français. Frappé par les costumes et les attitudes des locaux, il en revient avec l’idée d’avoir trouvé une image fidèle de l’Ancien Testament, comme le témoignage figé d’une Antiquité mythique. Il présente au Salon de l’année 1835 une huile intitulée « Rebecca à la Fontaine » qui s’inspire des croquis pris sur le vif au Maghreb. Cette peinture est aujourd’hui perdue mais elle est connue par de nombreuses gravures réalisées par Jean Pierre Marie Jazet (1788-1871) d’après Vernet dont fait partie la nôtre. Vernet défend son point de vue dans un article de l’Illustration en 1848 « des rapports qui existent entre le costume des Anciens Hébreux et des Arabes modernes » qui est lu à l’Académie des Beaux-Arts.

Notre gravure utilise la technique de l’aquatinte pour reproduire fidèlement – quoiqu’en noir et blanc - l’œuvre de Vernet : une plaque de métal recouverte de résine sur laquelle le motif est dessiné par le graveur est ensuite plongée dans un bassin d’acide qui l’entaille. Elle pourra alors être encrée et mise sous presse pour reproduire cette image au nombre de copies désiré. Cela nécessite un seul passage du papier vierge pour un seul encrage noir mais peut également permettre la reproduction en couleur, réalisée avec autant de passages et d’encrage que de couleurs souhaitées. Ces techniques de reproduction jouent un rôle de propagation des images depuis la Renaissance en Occident et se perfectionne jusqu’à l’invention de la photographie à partir des années 1840. Horace Vernet l’expérimente justement lors d’un voyage en Syrie où il réalise des photographies au daguerréotype. Notre gravure n’étant pas une œuvre originale mais une simple reproduction, sa valeur s’élève à 30 à 50 euros selon ses dimensions, que ne nous ont pas été précisées. Elle n’en reste pas moins un important témoignage de la passion des artistes du XIXe siècle pour l’Orient !
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :