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Bataille d’enchères en vue sur Le Nain

Mercredi 18 avril 2018

Le Quotidien de l'Art, Armelle Malvoisin

Frères Le Nain, Saint Jérôme. 1642 ou 1643, huile sur toile, 71,5 x 92 cm. Vente le 19 avril à New York chez Christie’s.
Frères Le Nain, Saint Jérôme. 1642 ou 1643, huile sur toile, 71,5 x 92 cm. Vente le 19 avril à New York chez Christie’s.


En attendant de connaître le sort du Christ enfant des frères Le Nain découvert par les Rouillac et qui vient d’être classé trésor national, Christie’s vend le 19 avril à New-York un Saint Jérôme que le Louvre a laissé partir.

Le 19 avril, Christie’s mettra en vente à New York un tableau des frères Le Nain représentant saint Jérôme, estimé 800 000 à 1,2 million d’euros, une somme qui semble dérisoire pour une oeuvre si rare. L’histoire de cette peinture remonte à 2014, année où elle est achetée en Bretagne par un brocanteur pour 800 euros. Le tableau est signé « Le Nain » et daté 1642 (ou 1643, le dernier chiffre étant difficilement visible). Mais il est ravagé et nécessite un rentoilage et de nombreux repeints. Après restaurations, le tableau révèle toute sa splendeur. Avec une Madeleine pénitente conservée dans une collection privée suisse, c’est le seul connu des Le Nain montrant un saint isolé. Aucun musée français ne possède un Le Nain de ce type, pas même le Louvre qui conserve une quinzaine de tableaux des trois frères sur les 75 répertoriés dans le monde.

C’est sans doute la raison pour laquelle l’oeuvre est proposée en vente privée au Louvre en 2015 pour une somme qui avoisinerait les 5 millions d’euros. Sotheby’s mène les négociations pour le compte du propriétaire auprès de l’institution, qui refuse la transaction. L’oeuvre était-elle trop restaurée ? Pas sûr. Si l’on en croit Alain Tapié, conservateur en chef honoraire des musées de France, « les musées français ont nombre de tableaux repeints. Ce n’est pas cela qui va forcément affecter une acquisition. Tout dépend du prix demandé ». Trop cher ? On est pourtant loin des 11,5 millions d’euros déboursés par le Louvre en 2009 – grâce au mécénat d’AXA – pour acquérir Le Reniement de saint Pierre, une toile caravagesque des frères Le Nain qui avait cependant le mérite de provenir des collections privées du cardinal Mazarin.

Le tableau Saint Jérôme des frères Le Nain présenté par l’expert parisien Olivier Lefeuvre, chez Christie’s à Paris du 14 au 19 mars.
Le tableau Saint Jérôme des frères Le Nain présenté par l’expert parisien Olivier Lefeuvre, chez Christie’s à Paris du 14 au 19 mars.

Prisé par les musées américains et asiatiques

En 2017, à l’occasion de l’exposition au Louvre-Lens sur les frères Le Nain organisée par le musée du Louvre,
on pouvait voir le Saint Jérôme accroché à côté de La Madeleine pénitente. Il est alors qualifié d’« oeuvre exceptionnelle » au catalogue de l’exposition. Pourtant, il n’a pas été classé et a obtenu sans problème son autorisation de sortie du territoire. Ce qui lui vaut d’être vendu à l’étranger à présent, auréolé du prestige d’une exposition majeure mondiale qui a d’abord circulé au Kimbell Art Museum de Fort Worth (Texas) et aux musées des Beaux-Arts de San Francisco. Les musées américains raffolent des grands noms de la peinture française du XVIIe siècle à l’instar de Champaigne, La Hyre, La Tour, Poussin, Vouet et Le Nain bien sûr. Il devrait être acheté outre-Atlantique, à moins qu’il soit emporté par un musée ou un collectionneur en Asie, la toile ayant été exposée chez Christie’s à Hong Kong. Reste à savoir jusqu’où iront les enchères. Le monde de la peinture ancienne va suivre cette vente de près, au regard de la récente découverte en 2017 d’un tableau inédit de Le Nain en région nantaise (voir le QDA du 14 mars 2018).

Le Nain Rouillac

Le Christ enfant au Louvre ?

« Notre tableau du Christ enfant est beaucoup plus important que le Saint Jérôme de Christie’s. Son sujet est plus rare et plus percutant dans la peinture française du XVIIe siècle », affirme Stéphane Pinta, l’expert de la vente du Le Nain (estimé 3 à 5 millions d’euros) qui sera offert le 10 juin au château d’Artigny en Touraine, sous le marteau des Rouillac. Il n’a pas aussi échappé à l’oeil de ce spécialiste, restaurateur de formation, que le Saint Jérôme affiche une image glacée due à son importante restauration et à son rentoilage. Comparativement, même avec quelques retouches, Le Christ enfant méditant sur les instruments de la Passion est en bien meilleur état et conservé sur sa toile d’origine. Voilà peut-être un tableau digne du Louvre… Il s’est d’ailleurs vu refuser son certificat d’exportation et a été classé trésor national, selon une information révélée le 16 avril par le chroniqueur de La Tribune de l’art, Didier Rykner, avant même sa parution au Journal officiel. Ce qui n’a pas manqué d’agacer les commissaires-priseurs Philippe et Aymeric Rouillac. Même s’ils sont heureux à l’idée qu’un tableau de cette importance rejoigne les collections publiques françaises, ils vont devoir repenser leur stratégie. « Nous avons une très forte demande de collectionneurs étrangers », affirme Aymeric Rouillac, grand défenseur du marché de l’art international. Ce qui veut dire qu’avec l’accord de la propriétaire du tableau, il pourrait laisser la vente publique se dérouler au profit de riches investisseurs. Ces derniers feraient flamber les enchères en misant sur l’incapacité de l’État français à acquérir l’oeuvre à un prix fou. Passé le délai légal de trente mois, l’interdiction de sortie de France tomberait. Un scénario pervers…

Saint Jérôme, vente le 19 avril chez Christie’s à New York. christies.com

Le Christ enfant méditant sur les instruments de la Passion, vente le 10 juin chez Rouillac, au château d’Artigny (Touraine). rouillac.com
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