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Coffre aux trésors

Samedi 07 avril 2018 à 07h

Me Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, répond cette semaine à Maryvonne, de Noyers-sur-Chers, qui souhaite connaître la valeur d’un « meuble de famille venant des Pays-Bas Espagnols ».



Au Moyen-Âge, les grands seigneurs voyageaient au gré des saisons, des évènements politiques, ou tout simplement de leurs envies. Et ce n’est ni aux Loir-et-chériens, ni à leurs voisins tourangeaux que nous allons apprendre cela ! Leurs demeures étaient bien évidement garnies de mobilier, mais nombre de meubles voyageaient aussi de châteaux en châteaux. Le premier d’entre eux car le plus pratique : le coffre. C’est donc sans surprise qu’il va se transformer au gré de la sédentarisation progressive du mode de vie seigneurial pour devenir la commode. Mais bien avant de devenir ce meuble que nous connaissons tous, le coffre, à l’aide d’un abatant, va s’ouvrir en façade pour découvrir un intérieur garni de nombreux petits tiroirs. Il prend également de la hauteur, venant se nicher sur un piètement. C’est ce que l’on nomme le cabinet. Plus exactement, c’est ce que les espagnols nomment « le bargueño » car il naît dans la péninsule ibérique au XVe siècle. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une écritoire portative.

Pour bijoux et poisons

Contrairement à son ancêtre le bargueño, le cabinet de Maryvonne n’est pas fait pour voyager. Il n’est d’ailleurs pas muni de poignées latérales. Il est en revanche destiné à mettre en sûreté, sous clef, les trésors de son propriétaire : papiers, bijoux, parfums, poisons, et objets précieux. Il adopte une forme rectangulaire dont le côté architectural est renforcé par la présence de ces deux pilastres à décrochement qui encadrent la façade. Cette dernière ouvre par un tiroir en partie inférieure et un abatant qui donne accès à douze petits tiroirs. Au centre, derrière une porte secrète, se cachent encore quatre tiroirs. Ce cabinet a un aspect austère typique des meubles produits au Pays-Bas espagnols au début du XVIIe siècle. En effet c’est une région qui comprend grosso modo la Belgique, le Luxembourg et une partie du sud des Pays-Bas – et fait partie intégrante de l’Empire espagnol de 1581 à 1714. Contrairement aux productions méridionales qui sont en noyer, celui-ci est en chêne mouluré et sculpté. L’abatant, comme la petite porte à l’intérieur, reçoivent un décor géométrisant dit « de bastions » - entendez de fortifications - caractéristique de cette région de production. Détail luxueux : l’intérieur de ces « bastions » est appliqué d’ébène, un bois précieux probablement importé des riches colonies tropicales espagnoles. Ce décor très sobre est agrémenté de baguettes moulurées de vaguelettes que l’on dit « ondées ». Elles étaient autrefois noircies pour imiter l’ébène. Sur la photo de Maryvonne, le cabinet est posé à même le sol. Ce n’était pas le cas. Les quelques 350 ou 400 années qui nous séparent de sa création ont été fatales à son piètement qui a disparu. Il semble cependant dans un état correct malgré de petits manques et accidents et une restauration malheureuse à l’abattant dans le but de le maintenir d’aplomb.

Ce meuble singulier, relativement peu courant, n’est malheureusement pas aussi recherché que ses cousins au décor somptueux, richement incrusté d’ivoire, nacre, écaille de tortue, bois rares, voire même de pierres semi-précieuses.
Sans les dimensions, difficile d’articuler un prix. S’il fait environ 90 cm de hauteur pour 1m10 de largeur, comptez une estimation de 800 à 1 200 € en vente aux enchères. Mais ce qui reste le plus précieux, ce sont trésors cachés et secrets enfouis : on y a retrouvé un jour dans un meuble comparable, une lettre du secrétaire de Louis XII, collée sous un tiroir : alors bonnes recherches !
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