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Un napperon qui ne fait pas dans la dentelle !

Samedi 17 mars 2018 à 07h

Cette semaine, Jean, habitant à Selommes, interroge Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, au sujet d’une dentelle ornée de symboles royaux.



En coton ou en lin, brodé ou tissé, richement ouvragé ou simplement cousu, le napperon témoigne du goût de nos anciens pour l’ornement des intérieurs. Sa fonction n’est pourtant pas seulement décorative mais aussi utilitaire : tout en laissant entrevoir le meuble sous-jacent, il permet de le protéger des éraflures. Par ses dimensions relativement importantes de 88 par 63 cm, le napperon de Jean semble avoir été pensé pour garnir un dessus de cheminée ou une table.

Cet objet s’inscrit dans la tradition ancestrale de la dentelle, art textile présent à la fois dans les sphères civiles et religieuses. C’est notamment au Puy en Velay dès le XVe siècle qu’est popularisée la technique de broderie de la soie venue de Lyon. Les objets en dentelle sont alors vendus aux pèlerins par des colporteurs. Pendant longtemps, la dentelle est un attribut de prestige réservé aux hommes. Les grands du royaume se parent de fraises exubérantes et les prêtres célèbrent la messe vêtus d’aubes et d’étoles en dentelles. Ce tissu est si prisé que Colbert, ministre de Louis XIV, crée à Alençon une manufacture royale qui produit avec un privilège exclusif les plus luxueuses pièces. Il faut alors 7 heures pour broder un seul centimètre carré de dentelle d’Alençon, technique aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’Unesco ! Notre napperon, lui, appartient à une technique moins sophistiquée proche du « point de Cluny ». Il ne joue pas d’effets de transparence et d’ombres mais est orné de motifs assez complexes et de glands. Les travaux de dentelle domestique présentent habituellement de simples rosaces ou fleurs au point de croix mais notre ouvrage montre lui un véritable bestiaire : salamandre, fleur de lys et porc-épic. Comment ces emblèmes bien connus des Blaisois ont-ils pu se retrouver sur un tissu à usage privé ?

Une symbolique royale
La fleur de lys, symbole marial attaché à la maison royale de France depuis le Moyen-Âge ne permet guère de doute, nous sommes en présence d’attributs royaux ! Le porc-épic projetant ses épines est l’emblème du roi Louis XII, la salamandre crachant le feu celui de François Ier, chacun de ses animaux symbolisant la force de ces souverains victorieux dans les guerres d’Italie du début du XVIe siècle. On retrouve ces armoiries sur les murs du château de Blois qu’un architecte romantique, Félix Duban, restaure entre 1848 et 1870. Il contribue alors à nourrir le goût du XIXe siècle pour l’utilisation des motifs du passé, c’est le courant de l’historicisme. Les artisans reprennent bientôt la salamandre et le porc épic dans leurs ouvrages, comme Ulysse Besnard qui crée la première faïencerie de Blois en 1862. Les ébénistes et les dentellières en font de même pour assortir les objets. Pour de tels motifs, les brodeuses pouvaient se servir d’un patron dessiné sur papier qui leur permettait de suivre les contours lors de la réalisation et diffusait les modèles dans le pays Blaisois. Il est donc probable que notre napperon date de la fin du XIXe siècle et les glands manquants à ses franges indiquent un usage ancien. Pour cet objet chargé d’histoire, des amateurs passionnés de la splendeur de la Renaissance pourraient débourser une cinquantaine d’euros.
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