Jason au secours de la France !
Samedi 10 mars 2018 à 07h
Cette semaine, un habitant de Blois interroge maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, au sujet d’un bronze signé Lanson.
Quelle figure héroïque ! Un jeune homme brandissant d’une main un glaive, de l’autre une peau d’animal, le regard sévère et déterminé. Est-ce là un trophée de chasse ? Il s’agit plutôt de l’objet d’une quête mythique, celle de la Toison d’or. Ce jeune héros n’est autre que Jason, le chef des Argonautes, qui a séduit la magicienne Médée pour l’aider dans son périple. La nudité du personnage est synonyme d’héroïsme depuis l’Antiquité tandis que sa jeunesse fait écho à un autre héros légendaire, quant à lui décrit dans la Bible, David. Le vainqueur de Goliath est un thème récurrent de la sculpture au moins depuis la Renaissance avec le David nu que Donatello sculpte en bronze en 1432 pour symboliser la force de la ville de Florence.
« Jason enlevant la Toison d’or, après avoir endormi, au moyen d’un breuvage magique, le dragon qui gardait l’arbre auquel elle était suspendue », voilà en revanche un sujet moins habituel dans la statuaire moderne ! C’est le thème du concours de sculpture pour le Grand Prix de Rome de 1876. Si notre bronze montre bien la Toison d’or, difficile d’y trouver la représentation d’un dragon endormi. Jason adopte une posture dissymétrique, un bras levé, une jambe repliée et appuyée sur ce qui ressemble à une souche d’arbre. Cette pose lui confère une certaine majesté et évite la monotonie d’une posture symétrique, technique empruntée à l’Antiquité.
Un héros pour exalter les vertus républicaines
En 1876, la IIIe République vient de naître suite à la défaite française de 1870 face à la Prusse. Pour reconstruire l’identité nationale, la France se cherche des héros. Si Marianne est un symbole républicain depuis 1848 et Vercingétorix a permis d’exalter l’héritage gaulois sous le Second Empire, l’Antiquité mythique fait office de répertoire de symboles pour la République renaissante. Les vertus de force et courage associées aux héros d’Homère ou de Virgile permettent de cicatriser les plaies d’une débâcle humiliante. Jason joue ainsi pour la France le même rôle que David endossait pour la République de Florence : sa représentation devient un modèle, une allégorie de la jeunesse vaillante. C’est cet esprit revanchard qui mènera à l’Union sacrée en 1914 avec tous les enfants de France prêts à se sacrifier pour vaincre l’Allemagne, avec le résultat que nous connaissons aujourd’hui.
Le bronze porte une signature sur son socle : Lanson. Il s’agit d’Alfred Désiré Lanson (1851-1897) qui remporte avec le modèle original de ce Jason le Premier Grand Prix de Rome en 1876. Originaire d’Orléans, il lègue son plâtre au Musée des Beaux-Arts de la ville. Mais l’image de ce jeune héros a tant de succès qu’il va être édité en bronze en plusieurs dimensions par les fondeurs parisiens SUSSE Frères et présenté à l’Exposition universelle de Paris en 1878. Le bronze de notre lecteur présente ainsi la marque « SUSSE frères éditeurs Paris » en creux sur son socle. On connaît des éditions de 50, 75 et 100 cm de hauteur pour ce modèle. Selon la taille de notre bronze qui n’est pas précisée, sa valeur de réalisation en vente aux enchères pourrait être comprise entre 500 et 1500 euros, tout de même. Ainsi, Jason ne rapporterait pas seulement la Toison d’or mais aussi des espèces sonnantes et trébuchantes!