FR
EN

Dur « d’ivoire » clair !

Samedi 17 février 2018 à 07h

Cette semaine, Philippe interroge Me Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, au sujet d’un objet en ivoire.


Matériau noble et précieux, l’ivoire suscite depuis toujours la fascination des hommes. « L’or blanc » pouvait se retrouver dans les trésors de la Rome antique ou de la Chine impériale, sur les objets liturgiques de l’Église comme sur les instruments de musique profane. Des boules de billards aux touches de piano, des bijoux aux statuettes jusqu’aux marteaux des commissaires-priseurs, cette matière issue de la chasse à l’éléphant, au rhinocéros, à l’hippopotame, ou au morse n’a eu de cesse de séduire par sa beauté. On a pu lui prêter des vertus magiques : la corne d’un animal marin, le narval, était considérée au Moyen Âge comme appartenant à une bête fabuleuse, la licorne, que l’on croyait capable de guérir du poison.



Aussi appréciée pour ses qualités plastiques, l’ivoire est travaillé depuis plusieurs millénaires, notamment en Asie. D’abord ressource indigène, ce matériau a ensuite été importé par les Chinois depuis le sous-continent asiatique, puis l’Afrique. La statuette que nous envoie Philippe appartient à l’évidence au répertoire iconographique de la Chine : une jeune femme debout tient une branche de pivoines dans la main gauche et un panier à poisson dans la main droite. À ses pieds, un héron semble attiré par le contenu du panier. Il s’agit d’une Guanyin, déesse de la Sagesse et de la Miséricorde pour les bouddhistes et les taoïstes. Quelques rehauts de noir dessinent la pupille des yeux de la déesse et des motifs de fleurs sur le revers de sa tunique. Sa position inclinée suit la forme recourbée de la défense comme il est de coutume dans l’art des ivoiriers. La forme de la femme debout serait un emprunt des Chinois aux Vierges à l’Enfant en ivoire rapportées au XVIe siècle par les Espagnols et les Portugais.

Il existe également un art très raffiné du travail de l’ivoire au Japon où l’on créa des parures de kimonos appelées netsukés, mais également en Afrique où le Bénin se fit une spécialité des pièces à exporter à destination du Sud de l’Europe. A partir du XIXe siècle, l’ivoire est imité par la résine et plus tard par le plastique. On peut toutefois reconnaitre l’ivoire à ses stries parallèles que constituent les fibres. De plus, l’ivoire est une matière dense et résistante à la chaleur. L’os, qui peut être confondu avec l’ivoire, peut aussi être sculpté mais avec un résultat moins abouti et à une échelle moins importante.
Aujourd’hui, la commercialisation de l’ivoire est rendue presque impossible par l’évolution de la législation. En effet, depuis un arrêté du 4 mai 2017, on ne peut vendre les objets d’ivoire produits après 1975 et ceux dont on peut prouver qu’ils ont été réalisés avant 1947 sont encore soumis à une déclaration ! Dans un souci de protection des espèces animales menacées, même la Chine, principal importateur mondial, en a interdit le commerce depuis le 1er janvier 2018. Quant à Hong Kong, plaque tournante historique de ces échanges, les récentes saisies de tonnes d’ivoire par les autorités prouvent un changement de politique. Concernant notre statuette, d’une hauteur de 26 cm selon Philippe, difficile d’estimer sa valeur sans pouvoir prouver son ancienneté mais son style et sa patine semblent indiquer une réalisation récente, peut-être un souvenir de voyage ? Hélas pour Philippe, cet objet d’ivoire ne pourra donc pas être vendu par quelque canal que ce soit, et encore moins aux enchères publiques. Nous lui conseillerions donc de le conserver comme trésor familial et que cette Guanyin le protège!
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :