FR
EN

Cinquante nuances de marbre

Samedi 10 février 2018 à 07h

Cette semaine, Marie-Hélène de Saint-Ouen interroge Me Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, au sujet d’une sculpture représentant un couple enlacé.



À l’approche de la Saint Valentin, difficile de ne pas succomber à ces deux amoureux saisis dans le marbre à l’aube d’un baiser. Les amants sont adossés à un muret, réunis dans une embrassade. Leurs mains se joignent tandis qu’ils se jettent un regard plein de tendresse. Ils sont debout sur un tapis de roses, symbole évident de leur passion. Un drapé léger vient nonchalamment dissimuler leur nudité. Le sculpteur a bien su rendre les ondulations et le plissé du tissu, tout comme les boucles de cheveux, faisant scintiller le marbre blanc. Leur posture évoque une légère spirale ascensionnelle qui symbolise leur félicité. La jambe gauche relevée du garçon atteste d’un art enlevé, amorce d’une danse ?



L’attitude affectée de nos deux tourtereaux nous semble aujourd’hui un brin désuète… Et pour autant le thème du couple est récurrent dans l’histoire de la sculpture, au moins depuis les sarcophages aux Époux conçus en Étrurie au Ve siècle avant notre ère. Alors qu’au XVIIe siècle, Bernin met en scène la pulsion violente dans le Rapt de Proserpine, la fin du XVIIIe siècle voit apparaître le romantisme sous le ciseau d’Antonio Canova, dont l’œuvre Psyché ranimée par le baiser de l’Amour demeure le modèle du genre. Au XIXe, c’est Rodin qui s’empare du thème avec succès, livrant son fameux Baiser, peut-être la plus célèbre sculpture de deux amoureux. Au château d’Artigny l’année dernière, la vente de la Valse de Camille Claudel, sublime représentation d’un couple emporté par la danse, nous a tous réjoui !

En ce qui concerne notre marbre, une signature gravée sur le socle nous renseigne sur l’auteur, un certain « T. Cipriani ». Cette marque se retrouve sur des sculptures sur marbre ou albâtre de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. L’artiste italien appartiendrait à une lignée de sculpteurs dont on connait un Cipriano, un Adolfo et un Ugo, chacun se distinguant par leur goût pour les poses alambiquées. T. Cipriani pourrait être Telemaco, également auteur de bustes de femmes et d’une Orientale alanguie sur une méridienne dans un style qui s’apparente à l’Art déco.

On se plaît à penser que le sculpteur, influencé par sa culture transalpine, a pu représenter l’Histoire de Paolo et Francesca. Leur histoire, narrée dans la Divine Comédie de Dante, est celle d’un mariage arrangé au XIIIe siècle entre la jeune Francesca et le boiteux Giovanni, à qui son beau-frère Paolo devait servir d’entremetteur. Francesca tombe cependant amoureuse de Paolo et les voilà qui cèdent à leurs passions. Giovanni, furieux, tue les deux amants. Le couple adultérin symbolisant la luxure est condamné à rejoindre le deuxième cercle des enfers, selon l’ouvrage de Dante. Les roses aux pieds de nos amants confirment la dualité de l’amour : envoutantes, elles n’en sont pas moins recouvertes d’épines.

Pour nos deux amoureux italiens, groupe d’une hauteur d’environ 60 cm, la mise à prix pourrait être de 1000 euros en vente aux enchères, en bon état de conservation, sans accident ni tache, au regard des résultats de cet énigmatique « T.Cipriani ». Son parent Adolfo (1880-1930), habitué à des formats plus spectaculaires, totalise quant à lui plusieurs milliers d’euros sous le marteau. Gageons que cette Saint Valentin aura une issue plus favorable que celle de Paolo et Francesca, pour tous les amoureux !
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :