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Une vitrine au goût oriental

Samedi 27 janvier 2018 à 07h

Cette semaine, Elisabeth interroge Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, au sujet d’une vitrine.



Elle ouvre en façade par une porte en verre bombé et des côtés sont également vitrés et galbés. Elle est décorée de frises de rinceaux, de chutes, baguettes, culots et sabots feuillagés en bronzes dorés ; et repose sur un piètement élégamment cambré et présente un dessus à doucine, motifs typiques du style Louis XV. C’est surtout la partie basse du meuble qui attire notre regard car elle présente des panneaux de bois laqués et vernis à décor de scènes de couples dans un paysage. Ces ornementations ne sont pas sans rappeler les décors du XVIIIe siècle.

Le bois laqué en Europe naît d’abord du goût naissant au XVIIe siècle pour l’Asie. Par l’intensification des échanges commerciaux avec l’Extrême Orient, les Européens se passionnent dès le règne de Louis XIV pour l’importation de la porcelaine et des meubles laqués d’Asie. Rappelez-vous d’un certain coffre en laque du Japon ayant appartenu à Mazarin ! Des privilèges royaux, sortes de clauses de non-concurrence, sont accordés aux artisans qui souhaitent percer les secrets de ces techniques pour les reproduire. Désirant imiter le laque, technique née de l’utilisation de la sève d’épineux appliquée en couches successives, les vernisseurs parisiens inventent un vernis polychrome pour décorer les chaises à porteurs, berlines des carrosses et intérieurs parisiens. Sous Louis XV, les frères Martin - qui donnent leur non à ce vernis - se distinguent par leur virtuosité, créant sur leurs meubles de véritables tableaux de laques. Pour leurs sujets, ils s’inspirent des œuvres des maîtres de l’époque, célébrés pour leurs scènes galantes : Boucher, Fragonard, Watteau. Le thème des pastorales connaît un grand succès, représentant personnages en habits de fêtes ou de bergers conversant en plein air, comme sur le meuble qui nous intéresse.

Si la vitrine d’Elisabeth semble emprunter ses formes et son décor au goût du règne de Louis XV, elle témoigne par sa réalisation d’un goût plus démonstratif propre au XIXe siècle. Les progrès techniques de l’industrialisation permettent en effet de façonner de grandes plaques de verre bombées. Les vitrines aux formes galbées se généralisent dans les intérieurs, parfois signées Gallé, Majorelle ou Viardot. Avant d’inventer les formes de l’Art nouveau et du japonisme, ces derniers puisent leur inspiration dans les formes du XVIIIe siècle, comme c’est le cas pour notre vitrine, suivant le goût de l’Impératrice Eugénie pour l’ameublement de Marie-Antoinette. Celle-ci est donc le témoin d’influences variées, venant d’abord des côtes de l’Orient, en passant par la cour de Louis XV jusqu’aux salons du Second Empire ! Ce meuble constitue un bon exemple du retour en vogue des vernis à la façon des Martin à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, prisés dans les intérieurs bourgeois, et pourrait se négocier en vente aux enchères pour 200 à 300 euros.
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