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Sus à la grippe !

Samedi 13 janvier 2018 à 07h

Les épidémies qui en ce moment font des ravages en France donnent l’occasion à Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, de vous emmener chez l’apothicaire. En effet, Gérard l’interroge sur un « petit tableau » figurant l’intérieur d’une officine.



Quatre malheureux font la queue devant le comptoir de l’apothicaire, occupé à piler une décoction. Le premier tient un pot à onguents, le second, en guenilles, se tient sur des béquilles, une jambe bandée. Derrière lui se tient un noble seigneur qui ne semble pas voir le petit chien à la patte bandée clopinant, qui attend lui aussi bien sagement. Quant au dernier, un laboureur trop faible pour se tenir debout, il a trouvé un tabouret salutaire après avoir appuyé sa fourche contre un pilier. L’officine est dotée d’une large cheminée propre à préparer les décoctions qui seront stockées dans les pots en céramiques alignés sur les étagères. Des objets divers trainent ici et là : un coffre, une épée, une viole de gambe et même un clystère (une seringue à lavements) laissé négligemment au centre de la pièce à côté d’un bassin… Voilà qui n’augure pas une hygiène exemplaire ! Une enseigne qui pend à un support en fer forgé ne laisse aucun doute sur la fonction du boutiquier qui exerce ici : « Apothicaire ». Derrière elle, à travers une large ouverture se dessinent les tours d’une forteresse et le clocher d’une église. Ce dessin réalisé à l’encre de Chine avec lavis pour les ombres, mesurant 39 par 53 cm, est légendé « Sovlaigement des mavlx avecqve docte scavoir et movltes medecines », ou en français moderne : soulagement des maux avec notre docte savoir et nombreuse médecines. Il est également signé par son auteur en bas à droite : « Del Remo ». Si la scène se déroule au XVIIe siècle, le dessin, lui, a été réalisé durant la seconde moitié du siècle dernier. De bonne facture, on pense tout de suite à la patte d’un dessinateur de BD. Malheureusement, ce Del Remo nous est inconnu. A l’arrière, il a pris soin de préciser : « Sujet certifié original et unique entièrement créé et imaginé par l'auteur Del Remo». Nous pouvons estimer cette œuvre entre 50 et 80 €. Simple dessin, non terminé et sans mise en couleurs, par le passage de gouache. L’artiste a parfaitement su saisir l’atmosphère de ces endroits fascinants (le plus parfaitement conservé se trouve au château de Baugé, en Anjou) qui vendaient toutes sortes de décoctions plus curieuses les unes que les autres. Mais la composition de nos médicaments actuels est-elle moins bizarre ? Rien n’est moins sûr…

Au Moyen-Âge, la base des connaissances pharmaceutiques est héritée des travaux de la Grèce antique, de la Rome antique et de l’Orient arabe. Les remèdes viennent de la flore, de la faune et des minéraux. Le pouvoir royal a très tôt souhaité réglementer et surveiller ce commerce pratiqué par des savants tout-à-fait honorables mais également par d’authentiques empoisonneurs… Ainsi, à la toute fin du XVIe siècle, un auteur italien précise : « Le bon apothicaire (…) ne doit être ni charlatan, ni cupide, ni buveur, ni dissolu. ». Le Parlement de Paris se mêle constamment des questions éthiques concernant cette profession. Des arrêts toujours plus stricts et contraignant sont publiés, et le plus souvent suite aux requêtes - aux plaintes - émanant de la corporation des médecins ! Quoi qu’il en soit, ils continuent de vendre leurs préparations, souvent d’une complexité extrême et presque toujours répugnantes. Une bronchite ? Extrait de poumon de renard ! Une vessie malade ? Extrait d’yeux d’écrevisses et de coquille d’œufs de limaces ! Crises d’épilepsie ? Extrait de crâne humain ! Sans parler de l’écorce de mandragore, du cœur de cerf, du soufre… Si avec ça on était pas guéri ! En 1676, la marquise de Sévigné, souffrant de rhumatismes, écrit à sa fille : « Mon joli médecin (…) m’a conseillé de mettre mes mains dans la vendange, et puis dans une gorge de veau, et, s’il en est encore besoin, de la moelle de cerf. ». Rien d’étonnant à ce que Molière, à la même époque, fasse dire à la nourrice dans son Médecin malgré lui : « Je ne veux point faire de mon corps une boutique d’apothicaire ! ».
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