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Le Louvre laissera-t-il échapper ce magistral Le Nain ?

Mercredi 14 mars 2018

Le Quotidien de l'Art, Armelle Malvoisin

Commissaires-priseurs tourangeaux dénicheurs de trésors dans les caves et les greniers de France, les Rouillac ont mis la main sur une toile inédite des frères Le Nain qu’ils mettront en vente en juin.

Les Rouillac – père et fills, sont des commissaires-priseurs de province pas comme les autres, connus sur tout le territoire français pour leurs coups d’éclat. Ils arrivent régulièrement à damer le pion aux grosses maisons de ventes anglo-saxonnes, en dénichant des trésors qu’ils mettent aux enchères chaque année lors de leur prestigieuse vente « Garden Party » en juin. Des David contre Goliath, en quelque sorte. Pour leur vacation du 10 juin au château d’Artigny qui célèbre le 30e anniversaire de ce très chic rendez-vous, ils sont fiers d’annoncer la découverte d’un tableau inédit des frères Le Nain. En octobre 2017, ils sont contactés par une dame d’un certain âge de la région vendéenne qui les a vus à la télévision, pour un tableau offert par sa grand-mère dans les années 1950. La propriétaire leur précise que l’œuvre figure « un petit garçon rouquin ». Elle en déduit que sa peinture doit être d’une école anglaise. Elle a bien essayé de la montrer à des antiquaires parisiens il y a des années, mais les sujets religieux n’ayant pas la cote, on lui a fait comprendre que sa toile ne valait rien.

Pourtant, lorsqu’Aymeric Rouillac vient voir l’œuvre, il est troublé par cette scène spirituelle représentant « Jésus enfant découvrant sa destinée ultime sur la croix, d’une facture extrêmement belle. » Il est convaincu d’avoir quelque chose d’important devant les yeux. Avec l’expert Stéphane Pinta du cabinet Turquin, il étudie la toile et l’identifie comme un Le Nain. Il tient le chef-d’œuvre de sa prochaine « Garden Party » !

Les rois du marteau chasseurs de trésors

C’est en 1989 que, sur les conseils de son amie la marquise de Brantes, Philippe Rouillac, commissaire- priseur vendômois, créé les ventes « Garden Party à la française » au château de Cheverny. Cette fête annuelle, devenue le rendez-vous le plus important du marché de l’art en province, devient en quelques années un haut lieu des enchères les plus folles, au gré de trouvailles extraordinaires. Philippe Rouillac est rejoint par son fils Aymeric en 2010. Ils enregistrent régulièrement des enchères millionnaires. Par trois fois, ils obtiennent l’enchère la plus haute de l’année en France : en 2000 pour un tableau de Vlaminck adjugé 2,4 millions d’euros, en 2002 pour un portrait de George Washington acheté 5,1 millions d’euros par la Maison- Blanche et en 2013 pour un co re du cardinal Mazarin envolé à 7,3 millions d’euros au pro t du Rijksmuseum d’Amsterdam. Ils font un tapage médiatique de leurs résultats exceptionnels et ils ont raison : ainsi donnent- ils aux gens l’envie de leur con er leurs biens. Qui sait s’il n’y a pas un trésor caché dans le lot ?

Pour leur grande vente de 2018, ce sera donc un tableau des Le Nain, trois frères peintres français de la première moitié du XVIIe qui connurent un immense succès de leur vivant. Passés de mode au tournant du XVIIIe siècle, ils furent peu à peu redécouverts à partir de la fin du XIXe siècle. Il est difficile de distinguer quelle main – celle d’Antoine, de Louis ou de Mathieu – a peint les quelque 75 toiles qui ont été identi ées sur une production de près de 2000, selon une estimation de Nicolas Milovanovic, conservateur en chef au département des peintures du musée du Louvre, qui fut le commissaire de l’importante exposition sur les frères Le Nain au Louvre Lens en 2017. C’est dire s’il reste des redécouvertes à faire, partout en France.

Un grand Le Nain

Cependant, de telles trouvailles restent peu fréquentes. Apparu dans une vente à Nancy en 2000 sous l’intitulé « École de Lorraine du XVIIe siècle », Le Reniement de saint Pierre, a finalement été classé Trésor national et acquis par le Louvre en 2010. Récemment découvert dans une brocante, un Saint Jérôme, attribué à Louis Le Nain, est considéré comme un chef-d’œuvre mystique que les visiteurs du Louvre- Lens ont pu apprécier l’an dernier. Le Louvre possède la plus grande collection d’œuvres des Le Nain au monde, soit une quinzaine de tableaux. Aymeric Rouillac est allé confronter la composition de « son tableau », Le Christ enfant méditant sur la croix, avec les plus beaux Le Nain du musée, à l’instar de Famille de paysans, attribuée à Louis qui est considéré comme le plus virtuose des trois frères. En regardant le visage du joueur de ageolet au centre de la composition, il n’a pu s’empêcher de faire un rapprochement stylistique avec son Christ enfant. Et si la toile était de la main de Louis ? Seule certitude du commissaire- priseur pour le moment : « C’est un grand Le Nain. Un unicum par son sujet rarissime, certes aussi traité par le primitif amand Van der Weyden et par le peintre baroque espagnol Murillo, mais jamais de cette manière, en invitant le spectateur à la méditation. » Aymeric Rouillac est aussi allé montrer l’image du Le Nain à quelques marchands de la foire de Maastricht qui « étaient comme des fous », certains tentant désespérément de l’acheter à l’amiable. Reste à savoir combien ce présumé chef-d’œuvre vaudra aux enchères. Plusieurs millions d’euros à n’en pas douter. On a peu de références de prix, car les rares toiles des Le Nain à être passées en ventes publiques n’étaient pas identi ées comme telles. Et surtout, qui sait si le Louvre ne voudra pas l’acquérir... Un certificat de sortie du territoire a été demandé. Verdict dans quelques semaines.
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