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Une tuile non réglementaire

Samedi 13 mai 2017 à 07h

Cette semaine, Nathalie écrit à Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, pour connaître la valeur… d’une tuile !



La tuile est un matériau de couverture en terre cuite, brute ou vernissée. D’aucuns disent qu’elle serait née en Chine il y a
6 000 ans ! Et en effet, quels plus beaux toits que ceux du palais d’Été ou de la Cité Interdite couverts de tuiles dites « canal », en forme de demi-cylindre ? À la naissance de Jésus-Christ, ces dernières sont répandues dans l’ensemble du bassin méditerranéen. Les Romains utilisent des tuiles de forme rectangulaire aux extrémités relevées, les tegulae, pour canaliser l’eau. À cheval sur les jointures entre les tegulae, ils posent des tuiles semi-cylindriques nommées imbrex. Lorsque les légions envahissent la Gaule, elles découvrent que les toits des bâtiments celtiques sont tantôt recouverts de chaume et de branchages, tantôt de dalles de pierre ou encore de planchettes de bois. Pas question de continuer ainsi ! Les Romains imposent la tuile, du moins sur les bâtiments importants.

Au Moyen-Âge, en France, le système tegula / imbrex est abandonné et une scission s’opère. Au sud de la Loire, on utilise les tuiles canal, dérivées de l’imbrex (et donc du système chinois !), alors que s’imposent au Nord les tuiles plates nées des tegulae et probablement inventées par les Bourguignons. Quoi qu’il en soit, toutes sont fabriquées à la main jusqu’au milieu du XIXe siècle. Les tuileries s’implantent non loin d’un gisement d’argile, près d’une source de sable (que l’on mélange à la terre), et à côté d’une forêt prompte à alimenter les fours en bois. Il en existait une quantité infinie, et souvent de taille modeste. Les procédés de fabrication étaient de fait divers, et parfois incongrus : il se raconte que les tuiles demi-cylindriques étaient souvent moulées… sur la cuisse des dames ! Ces productions locales, faites à partir « de la terre du coin » ont marqué les paysages, par leurs formes et leurs couleurs. Par amour du patrimoine et des traditions, il nous incombe aujourd’hui de respecter ces règles millénaires. Imaginez donc les toits de Chambord recouverts de tuiles de Marseille !

La tuile de Nathalie est de forme rectangulaire. Cette caractéristique exclue donc une production du sud du pays. Elle est munie d’un tenon pour l’accrochage sur le lattis. Cette tuile a été réalisée de façon artisanale. Elle est d’ailleurs datée 1824. Ce qui interpelle évidemment est ce dessin réalisé au revers avant cuisson, alors que la terre était encore malléable. Il figure un personnage chaussé de bottes et coiffé d’un shako muni d’un haut plumet. De la main droite, il brandit un sabre. C’est un militaire, très probablement d’un régiment d’infanterie ! Un détail des plus surprenants attire l’œil sur un attribut non réglementaire : notre soldat est muni d’un membre viril démesuré ! Il est courant de découvrir des inscriptions sur les tuiles. Elles comportent souvent le nom du commanditaire, celui de l’artisan, ou une marque distinctive. Mais une telle caricature, oscillant entre satyre et flatterie… ! Nous sommes face à l’œuvre d’un ouvrier quelque peu canaille !

Cet objet de curiosité relevant de l’art populaire parait en bon état. Certains amateurs de militaria y seront sensibles. C’est un témoignage extrêmement rare, et donc difficile à estimer surtout en ignorant les dimensions. Nous pouvons cependant avancer une estimation entre 80 et 120 €. Allez donc en découvrir au Musée de Sologne à Romorantin !
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