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Comment une "vieille bécane" devient-elle un "ordinateur de collection" ?

Dimanche 11 juin 2017

France Inter

Ce week-end, un Micral-N, l'un des premiers modèles de micro-ordinateur, est vendu aux enchères. Mise à prix : 20 000 euros.



C'est l'un des premiers micro-ordinateurs vendus "prêt-à-l'emploi" de l'histoire : un des cinq derniers exemplaires connus de cet appareil est mis en vente aux enchères ce dimanche, au château d'Artigny, près de Tours. "Cet ordinateur est exceptionnel (...), il avait la mémoire et la capacité des ordinateurs de l'époque qui avaient, eux, la taille d'une pièce entière ou, au mieux, d'un pan de mur", explique Roma Maireau, étudiante-chercheuse à l'université François Rabelais de Tours.

Avec ses 43 cm de long par 13 cm de haut et ses 8,2 kg, le Micral-N est rudimentaire, du point de vue d'un utilisateur d'aujourd'hui : pas de clavier ni d'écran (mais un télétype et un magnétophone), 51 instructions disponibles et un processeur 8 bits. Mais selon le commissaire-priseur Aymeric Rouillac, cette invention française "a donné des idées aux Américains", et "est à l'origine d'une nouvelle conception de l'informatique" dont découleront, quelques années plus tard, les premiers micro-ordinateurs d'IBM, et en 1977, le premier micro-ordinateur conçu par Steve Jobs, l'Apple I. C'est d'ailleurs pour parler du Micral que le terme de "microcomputer" sera utilisé pour la première fois par la presse spécialisée.

La mise à prix du Micral-N est fixée à 20 000 euros. Une somme colossale comparée au marché "normal" de l'occasion informatique, et en même temps, beaucoup moins élevée que les prix de vente des premiers Apple, estimés entre 250 000 et 550 000 euros. Qu'est-ce qui explique de telles différences ? Pour Anthony Nelzin-Santos, journaliste spécialisé pour le site spécialisé MacGeneration, la valeur dépend de "l'intérêt de préserver la machine en question", qui passe notamment par sa rareté mais aussi par "l'importance historique de la machine".

Mais il existe un autre critère, et celui-ci est beaucoup plus subjectif selon Philippe Niewbourg, ancien directeur du musée de l'Informatique, aujourd'hui fermé : "Cela dépend aussi de l'amour que les utilisateurs peuvent porter à une marque. Le marché n'est pas gouverné par des règles logiques : ce n'est pas juste parce qu'il reste trois exemplaires qu'ils vont atteindre des prix fantastiques." Et Apple fait figure de champion dans le domaine : "Tout ce qui est Apple, par cet effet de marque, est déjà de collection", ajoute-t-il, donnant pour exemple le Newton, ancêtre lointain de l'iPad au début des années 1990, qui est "déjà un objet de collection".

"On ne va pas du tout retrouver cet effet sur les IBM PC de cette époque, car personne n'en a rien à faire de collectionner les IBM PC, même si historiquement ils peuvent être aussi importants", ajoute l'ancien directeur. Et il faut ajouter à cela le critère du fonctionnement de l'appareil quand il s'agit d'un micro-ordinateur, car "les gens qui achètent ce type d'objet vont aussi souvent essayer de les utiliser".

Jalon historique ?

Tous ces critères forment une équation qui permet de se faire une idée de la valeur marchande de ces ordinateurs. Dans le cas particulier du Micral vendu ce week-end, selon Anthony Nelzin-Santos, elle est légèrement biaisée par le fait que "le statut du Micral est beaucoup plus ambigu que celui de l'Apple I" : d'un côté, la machine imaginée par Steve Jobs est "le premier ordinateur sur lequel on peut entrer des données avec un clavier et les voir sur un écran. C'est un jalon incroyablement important dans l'histoire de l'informatique" dont il ne reste "que six exemplaires en état de marche".

De l'autre, le Micral était "surtout vendu comme une machine pouvant aider à la supervision dans le domaine de l'industrie". S'il peut être considéré comme l'ancêtre des ordinateurs personnels, c'est avec un héritage plus indirect. Et pour le journaliste spécialisé, "il y a aussi un peu de chauvinisme là-dedans", car en France, "il rappelle cette période où il y avait une industrie du matériel informatique en Europe et particulièrement chez nous". Et pourtant, selon les organisateurs de la vente, ce pourraient être des investisseurs américains qui seraient les plus intéressés par ce produit.
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