LES ENCHÈRES AU GRAND AIR
Jeudi 01 juin 2017
La Gazette Drouot, Dimitri Joannides
MISE À LA MODE À LA FIN DES ANNÉES 1980 PAR LES MAISONS DE VENTES BRITANNIQUES, LA SCULPTURE D’EXTÉRIEUR FAIT DÉSORMAIS PLEINEMENT PARTIE DU PAYSAGE.
Les Rouillac se seraient-ils secrètement rêvés en Le Vau ou Le Nôtre lorsqu’en 2013 – année de la vente de leur fameux coffre de Mazarin –, les 17 tonnes cumulées de sculptures d’Alfred Janniot leur ont été livrées ? Leur mise en scène, au cœur des jardins du château de Cheverny, s’est révélée payante malgré les contraintes logistiques puisque 35 lots sur 37 trouvaient preneur. Six sculptures dépassaient les 100 000 € et un grand bronze représentant les Trois Grâces atteignait même 370 000 €. Le marché compterait-il donc tant de Médicis en herbe ?LA SCULPTURE CÔTÉ JARDIN
Les premiers jardins ornementés remontent au Quattrocento, à une époque où l’homme s’est fait une affaire de principe de dominer son environnement. En mêlant éléments végétaux et minéraux aux massifs floraux, les jardins de la Renaissance sont des œuvres d’art à part entière. À l’image de ceux de la villa d’Este, à Tivoli… qui ont accueilli en mai 2015 Sotheby’s et RM Auctions pour la vente de dix-sept Ferrari ! Les voitures d’exception, nouveaux accessoires de jardin ? Et que dire des squelettes de dinosaures, vedettes intouchables des ventes d’histoire naturelle, qu’on retrouve posés au bord des piscines de magnats du pétrole au Moyen-Orient ? Bref, revenons aux rondes-bosses et autres haut-relief qui apportent leur supplément d’âme aux jardins de Vaux-le-Vicomte ou de Buckingham. La mode en a été lancée par les Médicis, à Florence, autour de 1550. À l’époque, les jardins de Boboli, chef-d’œuvre paysager du palazzo Pitti, qu’ils commandent à Niccolò dei Pericoli, font parler d’eux dans toutes les cours d’Europe.AU PARADIS DE LA DÉCORATION
Sotheby’s, pionnière de la spécialité, organise chaque année des ventes entièrement dédiées aux agréments de jardin, mêlant sculptures, fontaines et grilles monumentales. Car au XVIIIe siècle, l’aura de Palladio a en effet permis aux parcs à l’italienne de franchir la Manche et de séduire les aristocrates anglais. Guère étonnant, dès lors, que cette passion so british ait connu un très vif regain d’intérêt sous l’impulsion des décorateurs arty et des paysagistes new age. La première vente aux enchères entièrement dédiée à la statuaire de jardins – au sens large – s’est tenue à Londres en 1986 et est devenue, dès sa deuxième édition, un rendez-vous bisannuel incontournable. Trente ans plus tard, les amateurs d’arts décoratifs et de design se montrent toujours très actifs, au gré des modes et des goûts. De notre côté de la Manche, la statuaire de jardin n’a pas laissé de marbre les commissaires-priseurs. Artcurial a montré la voie en octobre 2003 avec la dispersion des «antiquités architecturales» du domaine de Houdan, cumulant un peu plus de 2 M€ sur deux jours de vente. Rebelote en 2007 avec une vente de 1 200 lots brassant pêle-mêle 60 fontaines et bassins, 40 piliers et grilles d’entrée et autant de sculptures et statues du XVIIe au XXe siècle. Peu d’envolées spectaculaires mais des adjudications nombreuses et régulières, allant de quelques centaines d’euros pour des corbeilles de fruits en terre cuite émaillée à près de 40 000 € pour un marbre blanc d’André César Vermare. Bien des études se sont ensuite engouffrées dans la brèche, avec des succès variés. Soit en s’intéressant, comme Christophe Joron-Derem en mai 2015 à Naintré (Vienne), à la « décoration de parc» (bornes, bacs et bassins, colonnes, imposantes cheminées en pierre…), essentiellement prisée des restaurateurs de vieilles bâtisses que les ensembles monumentaux n’effraient pas. Soit en adoptant une approche plus décorative, avec les sculptures plus faciles à transporter et à installer, que les amateurs s’offrent pour orner leurs jardins, cours et autres terrasses.Et en France, terre historique de la fonte et du bronze, ce n’est pas l’offre qui manque ! Il est d’ailleurs intéressant de constater que le prix de ces créations en série s’apprécie désormais plus sensiblement que celui des statues originales en pierre. Celles de beau format du fondeur Val d’Osne se négocient très difficilement à moins de 5 000 €, un relaquage blanc à l’imitation du marbre permettant d’ailleurs de dépasser allégrement les 15 000 €, à l’exemple d’une Nymphe vendue chez Coutau-Bégarie en 2011. Pour un collectionneur, voilà l’une des rares occasions de voir grand, en veillant à l’état de conservation de la pièce convoitée. Mais attention : les restaurations déprécient considérablement la valeur d’une sculpture d’extérieur. De leurs côtés, les Britanniques n’ont jamais hésité à user et abuser du plomb, en pionniers visionnaires des célèbres jardins dits «à l’anglaise».