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Le Maréchal aux pinceaux

Mercredi 24 mai 2017

Point de Vue, François Billaut

M. de La Jobardière, l'anti-héros rentré d'immigration, rêve fortune, titres et châteaux. Une copie (ou un dessin original ?) des gravures conservées à la Bibliothèque nationale et au British Muséum, attribuées à l'imprimeur Forceval.
Boniface, comte de Castellane, en habit de maréchal et bâton à la main, vers 1860.
Le château de Rochecotte ou le carnet à dessins
du maréchal fut oublie au fond d'une malle.
Quelle HISTOIRE

Boniface de Castellane, le maréchal aux pinceaux


Le carnet à dessins qui passera sous les feux des enchères au château d'Artigny*, le 11 juin, nous révèle le talent méconnu de Boniface de Castellane L'autre Boni, grand soldat de l'Empire, nommé capitaine par Napoléon Ier, et maréchal de France par Napoléon lll.

Il dormait là, depuis deux cents ans, dans une malle encombrée de papiers divers et de vieilles gravures...». En découvrant, l'an passé, ce carnet à dessins de Boniface de Castellane, Marie Thérèse et François Joly sont étonnés. Pas par la provenance de l'objet, leurs parents Marcel et Marie Jeanne Joly ont été les propriétaires du château de Rochecotte, en Touraine, où a souvent séjourné le maréchal. Mais plutôt parce que personne, jusqu'à aujourd'hui, n'avait jamais entendu parler de ce passe-temps du jeune officier de l'Empire. Il faut dire qu'il ne semble occuper que les premières années de service de Boniface de Castellane, entré sous les drapeaux le 2 décembre 1804, le jour même du couronnement de Napoléon.

Dans ce recueil de trente-cinq gouaches, signées « B.C. » de ses seules initiales, Castellane peint ses rencontres, ses voyages. Les clochers à bulbes des églises orthodoxes, les izbas de la campagne de Russie à laquelle il participe en 1812. Des lieux où il séjourne: Acosta, le château de ses parents dans les Yvelines, Reuil, près de Provins, le domaine du comte Grefrulhe, son beau-père. «Son intérêt pour les costumes, les uniformes, est omniprésent, précise François Joly. Il dessine tout aussi bien les militaires qu'il croise, "housards", grenadiers, que le postillon à cheval, la marchande d'eau-de-vie ou un couple de paysans "Vandales", une veuve, une fiancée...». Le jeune officier croque aussi, avec humour, toute la petite société rencontrée dans ses villes de garnisons, comme Pontivy. De délicieux portraits assortis de commentaires : «Le Comte de Lescoët : brave et digne homme; le plus ennuyeux compère que je connaisse », « Madame Barre (Hortense) jolie veuve, gentille, spirituelle », « Mme Roblay mielleuse face de renard ».

Mais le plus amusant des personnages de Boniface de Castellane, c'est M de La Jobardière, inspiré du héros d'un vaudeville de Dumersan et Dupin. Une caricature d'aristocrate immigré, courtisan et revanchard, confit de certitudes et toujours, bien sûr, en habit de cour rapiécé et râpé. L'antithèse même du futur maréchal, issu de la plus illustre noblesse d'Ancien Régime, et pourtant engagé à 16 ans comme simple soldat de l'Empire. Les Cent-Jours, la Restauration, la monarchie de Juillet... les souverains passent et Castellane sert toujours son pays. Napoléon Ier titre son «brave jeune-homme» chevalier de l'Empire, Charles X parlera du «cher Boni», Louis-Philippe lui donne le rang de pair de France, et Napoléon III en fait le maréchal de Castellane. Marié à Cordelia Grefrulhe, en 1813, il est aussi le père de quatre enfants dont l’ainé, Henri, deviendra grand-père d'un autre Boni, le dandy de la Belle-Époque.

Henri et son épouse, Pauline de Talleyrand-Périgord, nièce officielle - et fille officieuse - de Charles-Maurice, le ministre, vivaient une partie de l'année à Rochecotte, où Boniface a souvent séjourné. « Le château respirait l'odeur d'une maison aristocratique du XIXe siècle, se souvient François Joly. L'importance des bibliothèques, où la cartographie de l'Europe tenait une large place, témoignait de la haute culture de ses propriétaires ». Le prince de Talleyrand avait partout laissé son empreinte, comme le grand Castellane. Quand ses descendants, à la fin des années 1970, ont vendu la propriété, son portrait en pied trônait encore dans la salle à manger, et son bâton de maréchal dans la bibliothèque. M de La Jobardière, quant à lui, s'ennuyait depuis bien trop longtemps au fond de sa cantine.•

* Rouillac commissaires-priseurs.
29e vente Garden-party au château d'Artigny.
92 rue de Monts 37250 Montbazon
Dimanche 11 juin. rouillac com
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