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Du sentiment en sculpture

Vendredi 19 mai 2017

La Gazette Drouot, Anne Foster


CAMILLE CLAUDEL TRANSMET À SES ŒUVRES UNE ALLÉGRESSE ET UNE SENSUALITÉ QUI NOUS ÉMEUVENT ENCORE. ON Y VOIT LES SENTIMENTS QUI ONT INSPIRÉ LA VALSE À L’ARTISTE : LA VIE, LA PASSION, LE MOUVEMENT.
PAR ANNE FOSTER

Une sculpture de Camille Claudel se remarque d’emblée, comme possédée d’une vie propre ; elle attire le regard, elle appelle la main. De la pudique Jeune fille à la gerbe, terre cuite de 1887, conservée au musée Rodin, à L’Âge mûr de 1898, la jeune femme a transcrit dans la glaise ses rêves secrets, son sens du geste juste, de l’intime. La Valse – commencée dès 1889 sous le nom Les Valseurs – atteint à l’allégorie absolue de l’abandon au sentiment amoureux. L’œuvre fut admirée, cependant, la nudité des danseurs choque ; en 1892, à sa requête, d’une commande du marbre par l’État, l’inspecteur Armand Dayot lui recommande «d’habiller ses personnages». Camille pare la danseuse d’un voile. L’inspecteur rédige alors un rapport enthousiaste : «Le groupe qu’elle intitulait primitivement Les Valseurs s’appelle aujourd’hui La Valse et ce seul changement dans le titre indique assez que ce motif s’est ennobli et comme purifié dans une interprétation plus allégorique […] un gracieux enlacement de formes superbes balancées dans un rythme harmonieux.» Le voile dans cette version formait un halo autour de la tête des danseurs ; supprimé, il laisse voir l’abandon de la tête de la jeune femme, comme perdue dans le mouvement et la musique. Paul Claudel, son cadet, dans un article paru en août 1905 dans L’Occident, écrira : «La draperie, chez Camille Claudel, remplit le rôle de la mélopée wagnérienne qui, reprenant, enveloppant, développant le thème, lui donne l’unité dans le total éclat.» En 1951, il écrit un nouvel article, plus personnel, «Ma soeur Camille». Il y note les «deux pôles de la conception artistique et qu’elle se distingue essentiellement de son maître. Le premier est le sentiment […] (Et j’évoquerai ici pour symbole ce groupe de La Valse, la danseuse, celle qui entend la musique, c’est elle ! – par-dessous le danseur qui l’a empoignée et qui l’entraîne dans un tourbillon enivré !)». Un premier bronze est fondu par Siot-Decauville, dont Eugène Blot va racheter les droits. Camille supprime le voile pour cette nouvelle édition, en deux tailles : 46,4 et 23,5 cm. On connaît trois fontes « illicites », réalisées à sa demande, dont celle-ci, de la collection Joseph Honoré Allioli (1854-1911). L’entreprise de décoration de ce dernier avait travaillé pour Rodin. Ami des artistes, il devait avoir reconnu le talent de cette jeune élève du maître, car ce bronze figure sur une photographie ancienne de son salon. Pour chacune de ces fontes au sable, Camille Claudel retravaillait le plâtre ; chaque bronze est ainsi considéré comme une pièce unique.

Camille Claudel (1864-1943), La Valse, 1889-1905, épreuve en bronze à patine brun-noir, fonte au sable réalisée du vivant de l’artiste, vers 1900, h. 46,7, l. 25,5, pr. 16,8 cm.
Estimation : 500 000/800 000 €

CHÂTEAU D’ARTIGNY (MONTBAZON), DIMANCHE 11 JUIN. ROUILLAC OVV. CABINET SCULPTURE ET COLLECTION.
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