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Fier comme un Paon

Samedi 26 mars 2011

Éric nous envoie une photo en précisant : « Je possède cet objet, merci de dire à quoi il peut bien servir. ». Aymeric Rouillac, commissaire-priseur se penche sur l’énigme qui lui est proposée.

Éric nous envoie une photo en précisant : « Je possède cet objet, merci de dire à quoi il peut bien servir. ». Aymeric Rouillac, commissaire-priseur se penche sur l’énigme qui lui est proposée.

Peut-être notre lecteur est-il un grand voyageur ? Cet objet semble en effet provenir des lointains rivages de l’Asie. Composé en métal doré il n’est cependant pas en or, mais plus probablement en bronze ou en laiton. Un volatile mâle se pavane entouré de cinq oiseaux femelles qui détournent pudiquement leurs têtes vers leurs queues. Les femelles surmontent chacune le couvercle d’un récipient en forme de larmes. Le tout repose sur quatre pieds en forme de tête, coiffée d’une plume. Quand on vit dans le Loir et Cher, on pense certainement à un coq de bassecour, choisissant la poule qui subira son assaut. L’image populaire de l’enfant qui jette du sel sur la queue d’une poule pour l’attraper permet alors de penser à une salière.

Mais la résolution de cet objet énigme n’est pas si évidente. D’une part nous n’avons pas besoin de cinq récipients pour une salière. Deux suffisent : un pour le sel,l’autre pour le poivre. D’autre part, la roue que forme l’oiseau mâle avec les plumes de sa queue ne ressemble pas à celle d’un coq, mais plutôt à celle d’un paon. Les plumes de la queue d’un paon sont en effet longues et chatoyantes.Lorsque vient la pluie où qu’il se lance dans une parade amoureuse, il les déploie en éventail pour qu’on en apprécie les couleurs, et qu’on observe les centaines d’yeux qui la parsèment. Il tourne alors sur lui-même, donnant ainsi son nom à l’expression « se pavaner ». Son long cou bleu est gracieux, et sur sa tête une longue crête appelée aigrette lui donne la plus fière allure. Paradoxalement, la femelle paon a des couleurs ternes et moins séduisantes.

Le paon est un animal mythique. On le sert à la table royale en France jusqu’au XVIe siècle.C’est Alexandre Le Grand qui, le premier, a rapporté en Europe cet oiseau depuis l’Inde. Seul animal à chasser les jeunes cobras, on le croit invincible et immortel, car protégé par le venin du serpent qu’il tue. Il est l’animal totem de l’Inde, mais aussi du parti démocratique de la Birmane Aung San Su Kyi. En Inde, le dieu de la danse Krishna porte des plumes de paon sur sa coiffure et le dieu de la Guerre Kartikeya s’en sert de monture. Le trône du grand mongol et des Shahs d’Iran était appelé le trône du paon ! Notre objet est donc porteur de ces nobles significations. La roue de plumes que forme le paon n’est donc pas une simple parade amoureuse, mais la représentation symbolique du roi des oiseaux.

L’idée française de la salière revient encore. On sait que la cuisine indienne est riche de ses épices, qui sont plus variées et plus nombreuses que notre sel et notre poivre.Rien n’interdit de penser que cet objet est lié aux arts de la table, destiné à recevoir et à offrir cinq épices dont vous agrémentez vos plats : piment, cannelle, gingembre, safran et muscade par exemple ! Il faudrait prendre cet objet en main pour déceler son ancienneté et sa valeur. En tout état de cause, 10 à 20 € semblent justifiés pour ce rare témoignage de l’alliance du paon et des épices, si le votre plus de dix ans d’âge. Pour profiter du beau temps, visitez l’un ou l’autre des châteaux qui s’ouvre au public au printemps. Vous y croiserez sûrement l’un de ces volatiles se pavaner. Ecoutez-le : contrairement au corbeau de La Fontaine son ramage n’a pas le charme de son plumage, et cela ne l’empêche pas d’être le phénix des hôtes de ce bois !
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