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CHOMO À TOURS L'INSTRUIT DU CIEL

Vendredi 29 janvier 2016

La Gazette Drouot, Chantal Humbert

Photo Clovis Prévost


Quittant son repaire de Fontainebleau, cet artiste« total » et visionnaire est actuellement l’hôte du château avec une cinquantaine d’œuvres. Génial et décoiffant ! Il y a six ans, Aymeric et Philippe Rouillac avaient dispersé, à Cheverny, une centaine d’œuvres de Chomo après une première rétrospective parisienne qui s’était tenue à la Halle Saint-Pierre. Toujours avec la collaboration de Laurent Danchin, écrivain et critique d’art, Aymeric Rouillac présente cette fois le parcours en six étapes de cet artiste inclassable, à la fois peintre, poète, musicien,sculpteur, architecte et cinéaste. Son œuvre prendune dimension nouvelle en 2016, au moment où l’on incite à la consommation durable. L’exposition est d’ailleurs dédiée à Jackie Tiphaigne (1949-2012),un industriel philanthrope, directeur du laboratoire Cosbionat, qui voyait en lui un défenseur ardent de la nature.

Qui est Chomo ?

Formé à l’école des beaux-arts de Valenciennes, Roger Chomeaux (1907-1999)subvient d’abord à ses besoins chez Delarive comme artiste décorateur tout en peignant des tableaux postimpressionnistes jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Très éprouvé par un an de captivité en Pologne, il part en révolte au début des années 1950 contre une société dévoyée sur une planète en grand danger. L’artiste décide de changer de vie et devient Chomo dit « 0 - 0 - 0 » ; il se vouera désormais à la création. En précurseur de l’art de la récup’, il réalise dans un premier temps des sculptures en bois brûlé qu’admirent Picasso,Dalí, Breton, Cocteau et Michaux lors d’une unique exposition parisienne, en 1960 à la galerie Jean Camion. Pour Chomo, l’art n’est pas à vendre et il quitte définitivement Paris pour s’installer à Achères-la-Forêt, au cœur de la forêt de Fontainebleau.Vivant seul – il a laissé femme et enfants dans la capitale –, il crée un village d’art préludien proche de l’univers du facteur Cheval. Faisant preuve d’une énergie et d’une inventivité sans limites, il édifie ainsi le « Sanctuaire des bois brûlés », l’« Église des pauvres » et le « Royaume », le plus complexe des bâtiments du village. Les pins morts se transforment en poutres, des chiffons enduits de plâtre se métamorphosent en torchis. Pendant près de quarante ans, Chomo ne cessera de récupérer des grillages, des bois morts de la forêt, des tôles de voitures, trouvés dans les sous-bois, les décharges publiques et les casses automobiles des environs.

Ayant mis aussi quarante ans pour se« décrotter » de l’académisme, Chomo veut que l’art« concrétise un rêve » en revenant à la source de la nature. Adepte du dénuement radical, il vit sans eau, ni électricité, clamant : « Je suis riche de pauvreté, vous êtes pauvres de richesses », allant à l’encontre du consommer toujours plus. Il recrée ainsi un monde poétique et spirituel de bric et de broc. Délaissant la pierre, le béton et le bronze,Chomo bâtit des maisons dignes du « palais idéal »au moyen de troncs d’arbre, de plâtre et de bouteilles en verre. Ces dernières servent de vitraux de fortune illuminant avec éclat « L’Église des pauvres », thème d’une avant-dernière salle du château. Elle était animée à l’époque de près de deux mille sculptures. Figures étranges, elles sont fabriquées à partir de grillages à poules, de plastique fondu, de mâchefers, de béton cellulaire et s’avivent de grands yeux de voyants d’extraterrestres proches de ceux d’E.T. Chomo les nomme ses« bébés d’orage », ses « enfants d’amours refusés »ou encore ses « visages cosmiques ».

Tolérant dans son village les visiteurs le week-end, il les prévient au moyen d’écriteaux cloués sur les arbres où il affirme un humour corrosif : « Vous qui entrez ici,vous n’êtes pas certains d’en sortir. » Ébahis, ils reçoivent son enseignement préconisant une médecine naturelle. S’occupant d’une vingtaine de ruches, Chomo leur sert souvent un verre d’hydromel.Quelque peu chaman à ses heures, il en guérit aussi certains, grâce à des pansements au miel. En point d’orgue, le « Royaume », construit vers 1966 et restauré durant l’été dernier, qu’il avait d’abord baptisé « Remorqueur réfrigéré ». S’éclairant de nombreuses ouvertures en forme de hublots, il est sommé d’un toit fabriqué avec des capots de voitures accidentées. Au terme de la visite, on s’asseyait sur de simples souches d’arbres et on pouvait entendre des poèmes Incantatoires comme « Du sang dans le pétrole », « Méditation sur un corps usé ». En se plaçant hors des circuits traditionnels du marché et des galeries, Chomo milite dans son domaine bellifontain pour une écologie avant l’heure et se révèle le premier artiste de la décroissance.

CHANTAL HUMBERT

« Faites un rêve avec Chomo », château de Tours, 25, avenue André-Malraux, 37000 Tours, tél. : 02 47 61 22 22,
Jusqu’au 14 février.
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