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Une œuvre inédite attribuée à Cyrano de Bergerac dévoilée pour la première fois au public

Mercredi 17 avril 2024

Historia, Pierre-Louis Lensel

Ce 21 avril, lors du festival Le Printemps baroque du Touquet, une pièce de théâtre retrouvée, attribuée à Savinien de Cyrano de Bergerac, auteur anticonformiste du XVIIe siècle, va faire l'objet d'une première lecture publique. Retour sur l’histoire d’une découverte extraordinaire, avec l’un de ses promoteurs, Guy Fontaine, professeur de littérature européenne à l’Université catholique de Lille.

Historia – Comment ce manuscrit inédit a-t-il été découvert ?
Guy Fontaine – Tout a commencé avec un autre manuscrit, contemporain celui-là. En 2021, Annick Benoit et moi, coauteurs d’une Histoire de la littérature européenne, travaillions à sa troisième édition. Pour cela, nous avons cherché le calme pendant quelques semaines dans une résidence d’écrivains du Tarn-et-Garonne, au nord de Montauban. Pour remercier de l’accueil reçu, nous avons donné une conférence devant une trentaine de personnes. Or, lors de cette soirée, une dame du public est venue me parler d’un manuscrit de 70 pages acquis par son frère dans une salle de vente, à [Vendôme]. Il s’agissait d’une pièce de théâtre ancienne, inédite et non signée, intitulée L’Art de persuader, qu’il pensait écrite par Molière. La dame m’a demandé si j’accepterais d’y jeter un œil pour donner un avis… Ce genre de proposition ne se refuse pas !

Un peu plus tard, j’ai donc reçu par la poste une photocopie couleur du manuscrit. En le lisant, je me suis dit que c’était une œuvre de qualité, de très grande qualité même. Pour ce qui est de la datation du XVIIe siècle, la graphie et le papier ne faisaient guère de doute. Concernant la paternité du texte, j’ai d’abord pensé à une comédie, non de Molière, mais de Corneille… D’autres personnes de mon entourage m'ont signalé combien l'auteur du manuscrit s'était inspiré du dramaturge latin Plaute.

Je me suis alors tourné vers un voisin et ami, le professeur Robert Horville, spécialiste reconnu de la littérature du Grand Siècle. Il a également trouvé la pièce excellente et c’est lui qui a flairé la piste Cyrano de Bergerac !


En deux mots, quel est l’argument de cette pièce de théâtre ?
C’est une comédie – ou une tragicomédie – très probablement de la seconde partie des années 1640. La trame évoque d’autres pièces latines ou du XVIIe siècle, puisqu’elle réunit deux jeunes fils, deux jeunes filles, deux vieux pères et des valets astucieux, voire manipulateurs… L’histoire s’achève, bien entendu, par deux mariages. Mais il y a aussi des originalités : les deux demoiselles au centre de l’intrigue, qui s’appellent toutes deux Julie, ont un parcours bien différent de celui des jeunes premières de Plaute, et la pièce, qui se passe dans le quartier du Marais, est truffée de références à l’actualité du temps. On y évoque le Paris souffrant de la Fronde parlementaire, ainsi que la guerre de Trente Ans.

Pourquoi la piste de Cyrano de Bergerac est-elle désormais largement privilégiée ?
D’abord, la pièce se passe dans son monde. On y retrouve des lieux qu’il a bien connus, ce qui est vérifiable dans sa biographie. L’histoire des personnages fait aussi écho à des événements auxquels il a vraisemblablement été confronté : par exemple, on apprend que les deux Julie ont été exfiltrées du couvent de Saint-Nicolas-de-Port, près de Nancy, pour échapper à des persécutions protestantes – cela correspond à l’activité d’une filière parisienne qui s’était mise en place pour venir au secours des catholiques lorrains alors menacés.

Par ailleurs, la langue et les références employées par l’auteur plaident également pour Cyrano. À première vue, on pourrait croire à une comédie composée par un Pédant, avec beaucoup de latinismes et de procédés littéraires complexes, parfois très efficaces, parfois plus plats. Mais, quand on regarde de plus près ce feu d’artifice verbal, on retrouve des éléments qui existent aussi dans les œuvres connues de Cyrano. Par exemple, il y a des cousinages avec des figures de style ou une découpe de l'alexandrin employées dans sa pièce La Mort d’Agrippine. On lit aussi une manière d'évoquer la Lune qui est présente dans son Histoire comique desÉtats et Empires de la Lune.

Ce faisceau d’indices va dans le même sens. Il faut néanmoins rester prudent : la pièce, en l’état des connaissances, n’est qu’attribuée à Cyrano de Bergerac.


Où situer L’Art de persuader dans la littérature du XVIIe siècle ?
Comme je l’évoquais, il y a des liens très nets avec le théâtre latin et plusieurs comédies du XVIIe siècle. L’esthétique baroque y est omniprésente. Disons que l’on est quelque part entre L’Illusion comique de Corneille et Les Fourberies de Scapin de Molière.

Quelles sont les prochaines étapes pour faire connaître ce manuscrit ?
La première a lieu au Palais des Congrès du Touquet-Paris-Plage, ce dimanche 21 avril, à 18h30, en clôture du festival Le Printemps Baroque, organisé par Vincent Tavernier, le grand spécialiste de la mise en scène du théâtre avec ballet de Molière. Un plateau de dix comédiens de la Compagnie des Malins Plaisirs proposera la première lecture publique du manuscrit inédit. Pour nous, cela sera un moment émouvant, mais qui permettra aussi de mieux comprendre la pièce dans sa théâtralité. Robert Horville et moi interviendrons au début de chaque acte pour en donner les grands éléments de compréhension.

Après cela, le prochain moment important sera la publication du manuscrit dans la collection des Classiques Garnier, édition scientifique dirigée par Robert et moi, et bénéficiant du concours érudit de collègues de notre réseau des Lettres Européennes. D'autres événements sont aussi à prévoir autour de la pièce en 2024 et 2025, en direction des conservatoires, des publics scolaire et universitaire, etc.
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