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L'intensité cobalt d'un bouquet solaire

Lundi 29 janvier 2024

par Odilon Redon

Intérieur d'Andries Bonger à Amsterdam, vers 1904
Portrait de d'Odilon Redon, vers 1880.

Odilon Redon (Français, 1840-1916)

Bouquet de fleurs avec un tournesol

Pastel.
Signé en bas gauche.

Haut. 60 Larg. 40 cm.

Provenance : ancienne collection Jules Chavasse, sa vente, n°27, 22 juin 1922, Paris.
Certificat Artloss Register, Londres, du 11 avril 2024.

Odilon Redon. A pastel painting of a flower arrangement with sunflower.

Bibliographie : Wildenstein-Saint-Guily, III, 1998, n°1558.

Exposition :"Odilon Redon", Tokyo, 1973, n°14, reproduction en couleur.

Un bouquet solaire de Redon

Renouveler le genre

Plus que nul autre peintre de son époque, Odilon Redon parvient à sublimer les natures mortes aux fleurs dans des compositions oscillant entre rêve et réalité. En ce début de XXe siècle, ce sujet de prédilection des amateurs traverse les mouvances artistiques. Dans la droite lignée de Vincent Van Gogh et de Paul Cézanne, dont les rétrospectives sont organisées en 1901 et 1907, des artistes tels qu’Henri Matisse ou Auguste Renoir profitent notamment de cet engouement pour renouveler le genre. Les bouquets de fleurs aident Redon à la fin du siècle à quitter sa période noire tourmentée des années 1880. L’artiste est porté par l’engouement né à l’occasion de sa première exposition monographique chez Durand-Ruel en 1894. Il réalise en quinze ans près de trois cents tableaux de fleurs, en pot et en bouquet, à l’huile et au pastel. Il les présente au salon d’automne entre 1905 et 1908 et les vend chez Durand-Ruel ou à l’Hôtel Drouot.

La collection Chavasse

L’homme d’affaire néerlandais Andries Bonger (1861-1936) devient son plus grand collectionneur avec une collection de 77 oeuvres, dont 20 bouquets, au coeur de sa maturité picturale. Les fleurs de Redon sont exposées chez lui à la place d’honneur, entourées de tableaux par Cézanne, Émile Bernard et Van Gogh, dans le musée duquel elles sont désormais conservées. Bonger explique en effet que ces tableaux, vibrant comme des pièces de musiques, créent une atmosphère « propice à son épanouissement personnel ». En province, c'est le négociant en vins Jules Chavasse (1858-1919) qui est l’un de ses collectionneurs les plus avertis. Lors de la vente de sa collection d'art moderne en 1922, 12 œuvres sur les 55 au total sont de Redon. Le maître symboliste trône au milieu de cinq bronzes et marbres de Rodin, de deux toiles par Matisse ou Gustave Moreau, une de Renoir et de Vuillard, trois de Bonnard ou de Van Dongen. Sept sont des bouquets de fleurs, emmenés par ce pastel qui ouvre le bal, reproduit sereinement en pleine page. Si la sélection de Redon débutait par un Saint Sébastien, aujourd’hui conservé à la National Gallery of Art de Washington (n°1963.10.57), elle se terminait par Le Cyclope, qui fait l’orgueil du Musée Kröller-Müller à Otterlo aux Pays Bas (KM 103.98). L’œil de Jules Chavasse se révèle donc être l’un des plus aguerri pour apprécier l’univers de Redon, dont ce pastel magnétique est considéré comme l’un des chefs d'œuvres.

La brutale vérité d'un soleil trappu

Redon doit son regard émerveillé sur la flore à Armand Clavaud (1828-1890), botaniste et philosophe rencontré à Bordeaux, qui l’initie dès l’adolescence à l’observation méticuleuse des plantes. Le chercheur lui transmet également son goût pour la littérature et ses recherches autour du bouddhisme et du panthéisme. Notre bouquet, singulier à plus d’un titre, est représenté sur un fond azur et semble flotter dans un mouvement ascensionnel. Il est disposé dans un vase de couleur bleu cobalt et se compose au centre d’une fleur de tournesol entourée de dahlias, pivoines et œillets. Si la fleur de tournesol fait surface à de rares occasions dans le corpus du peintre, elle semble revêtir à ses yeux une signification toute particulière parmi les fleurs des champs. Dans ses correspondances, il écrit représenter le tournesol « dans sa brutale vérité de soleil trapu », cherchant, comme Van Gogh avant lui, à en capter toute la radiance. Après 1910, Redon délaissera la luxuriance dans sa représentation des fleurs, recherchant une épure dépouillée qui confère à ce fabuleux pastel de sa grande époque une place de choix. Plus que de nombreuses huiles, ce pastel de Redon honore en effet son talent de coloriste.

Un vase insolite

Parallèlement aux fleurs, Odilon Redon apprécie les vases en céramique, qui jouissent du renouveau des arts du feu. Il se rend aux Expositions Universelles, qui accueillent depuis 1878 les grès japonais, et forme une collection personnelle qui alimente ses compositions. Notre vase en céramique émaillée, en forme de pichet avec panse ovoïde, est décoré d’un double liseré sur le col. Répertorié par Wildenstein au n°1558, dans la section des « vases insolites », il est représenté pour la première et unique fois dans cette composition. Sa couleur bleu cobalt est, elle, omniprésente dans le travail de l’artiste, qui s’y dédie à partir de 1890. La Cellule d’or, peinte en 1892 et conservée au British Museum, représentant une femme tout en bleu cobalt sur un fond d’or, en offre un parfait exemple. Adepte de la pensée théosophique, le bleu de Redon est synonyme de féminin et de quête vers un idéal spirituel. Entre élément décoratif et vision éthérée, l’utilisation de cette couleur en aplat et celle du symbole du tournesol confèrent à notre bouquet toute sa spiritualité. Ce pastel illustre à la perfection la conception de Redon selon laquelle « un tableau n’enseigne rien ; il attire, il surprend, il exalte, il mène insensiblement et par amour au besoin de vivre avec le beau ; il lève et redresse l’esprit".

Aymeric Rouillac avec Hortense Lugand
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